Thursday, May 11, 2023


De Nice à Menton, ils ont marché pour rendre hommage aux Tirailleurs sénégalais morts pour la France

Lancé il y a 15 ans par l’association Mémoire du Tirailleur Sénégalais, ce pèlerinage entre Nice et Menton vise à rendre hommage aux milliers de soldats africains morts pour la France.

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Margaux Boscagli  Publié le 09/05/2023 à 13:16, mis à jour le 09/05/2023 à 17:03

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Les marcheurs ont terminé leur périple au cimetière du Trabuquet, où 1 137 soldats africains sont enterrés. Cyril Dodergny

C’est une tradition depuis 2008. Chaque année, l’association Mémoire du Tirailleur Sénégalais (A.M.T.S.) organise une marche reliant Nice à Menton en hommage aux soldats coloniaux morts pour la France. L’enjeu : sensibiliser la population azuréenne, et les nouvelles générations, à ce pan de l’histoire encore trop méconnu.

Une cinquantaine de personnes, dont des élèves du lycée Sasserno de Nice, y ont participé, ce lundi. Ils ont terminé leur périple dans l’après-midi au cimetière du Trabuquet, sur les hauteurs de Menton, où 1.137 tirailleurs sénégalais, guinéens, burkinabés, malgaches ou encore indochinois sont enterrés.

Un long processus de reconnaissance

Tous ont servi sous le drapeau tricolore lors de la Première Guerre Mondiale et se sont éteints dans des hôpitaux militaires mentonnais. Longtemps oubliés, leurs noms et leur sacrifice ont été mis au jour grâce à la détermination de Gaspard Mbaye, le président de l’A.M.T.S. Lui-même fils de tirailleur, ce professeur d’histoire a milité pendant des années pour la création d’un mémorial sur ce site. Confrontant les registres de l’état civil de Menton aux fichiers de l’armée, il a mené d’épineuses recherches pour redonner une identité à chacun de ces défunts et retracer leurs conditions d’existence.

"Un très long processus ", se remémore Patrice Novelli, adjoint à la Ville de Menton, en charge du dossier à l’époque. "Car après ce travail de fourmi, encore fallait-il trouver des financements pour ce mémorial. Je peux dire qu’on avait écrit à une vingtaine de pays d’Afrique noire, et malheureusement, nous avons eu très peu ou quasiment pas de réponses positives à ce moment-là… C’est grâce à l’opiniâtreté de Gaspard qu’on a réussi. La première porte à laquelle on a tapé et nous ayant répondu positivement était celle de la Principauté de Monaco…", poursuit l’élu.

"Faire entendre leur histoire"

Ce n’est que le 1er novembre 2012, soit quatre ans plus tard, que Gaspard Mbaye parvient enfin à inaugurer le monument du tirailleur Sénégalais au cimetière du Trabuquet. Une statue réalisée par Joël Vergne, devant laquelle les lycéens ont lu, hier après-midi, plusieurs poèmes dédiés à ces soldats africains. "En ce 8 mai, jour si symbolique pour la France, il est important de se rappeler les alliés qui ont aidé la France. Nous sommes là pour faire entendre leur histoire", ont-ils déclamé avant d’entamer la Marseillaise et de procéder aux dépôts de gerbes.

Lancée en février, cette "lettre ouverte au Président de la République" a déjà recueilli plus de 2.178 signatures.

Une pétition pour l’entrée du tirailleur au Panthéon

Après ce travail au niveau local, l’association entend aller "encore plus loin".

"Pour que cette histoire - qui fait partie de l’histoire nationale - puisse être enseignée", indique Gaspard Mbaye. Le professeur et fervent militant s’est donc lancé dans un nouveau combat : celui de faire entrer le tirailleur au Panthéon.

Pour ce faire, il a créé une pétition, sous forme de lettre ouverte adressée au Président de la République, dans laquelle il rappelle que les Tirailleurs "sont de tous les combats, de toutes les guerres de la France depuis le second XIXe".

Invitant Emmanuel Macron à "mesurer à sa juste valeur le sacrifice de ces hommes, qui ont donné sang, corps et âme, pour que nous vivions, aujourd’hui, dans une France libre". Mise en ligne en février, celle-ci a déjà récolté plus de 2.178 signatures.

"Cette panthéonisation permettrait de faire entrer cette partie de l’histoire dans les programmes scolaires. Pour que nous, enseignants, nous puissions l’aborder avec nos élèves", souligne Gaspard Mbaye.

Un "geste fort" qui signifierait, pour le président de l’association Mémoire du Tirailleur Sénégalais, "que ces soldats ne sont plus inconsidérés". "Ce serait pour moi la seule réponse acceptable de la part de l’État", martèle-t-il encore.

"On espère être entendus. Susciter des réactions ou une forme de prise de conscience."

Le contexte national pourrait jouer en faveur de l’association.

Depuis janvier, l’histoire de ces militaires africains a souvent été au cœur de l’actualité avec la sortie du film Tirailleurs, avec Omar Sy, ou encore l’annonce du ministère des Solidarités indiquant que les derniers tirailleurs sénégalais pourront rentrer dans leur pays d’origine tout en continuant de toucher le minimum vieillesse.

De Nice à Menton, ils ont marché pour rendre hommage aux Tirailleurs sénégalais morts pour la France - Nice-Matin (nicematin.com)

Monday, May 01, 2023

A 95 ans, le tirailleur Yoro Diao peut enfin rentrer "dignement" au Sénégal

Source AFP

© AFP/Geoffroy Van der Hasselt

Publié le 26/04/2023 à 08h14

"Nous rentrons chez nous pour vivre avec nos petits-enfants" après "les affres de la guerre et de la vie": vétéran des guerres d'Indochine et d'Algérie au service de la France, Yoro Diao retourne définitivement au Sénégal vendredi avec d'autres tirailleurs, après une bataille avec l'administration française pour la reconnaissance de leurs "sacrifices".
A 95 ans, il n'est plus obligé de passer au moins six mois par an en France, loin des siens, pour avoir droit à sa pension.
"C'est une victoire !", lance-t-il à l'AFP depuis son studio dans un foyer à Bondy, en région parisienne. L'effervescence et le chamboulement du grand départ pour rentrer à Kaolack (centre du Sénégal) y sont palpables.
Il reçoit en impeccable costume, arborant à l'occasion ses nombreuses médailles militaires. Un regard et un sourire bienveillants adoucissent son visage émacié.
Trois valises s'entassent au sol, encombrant l'espace entre son lit et un bureau débordant de dossiers administratifs.
Une autre valise a été coincée sous son lit, pleine de photos de famille et de "camarades" anciens combattants, "des souvenirs" qu'il regarde ému, dont la cérémonie où il a reçu la Légion d'honneur en 2017. "C'est le président Hollande qui devait me décorer mais il n'avait pas le temps, alors il a délégué le préfet...", glisse-t-il avec malice.
Des pense-bêtes sont posés ça et là car sa mémoire lui joue des tours. Dans le stress, il a ainsi mis dans son container de déménagement son passeport rangé dans une veste...

"Négligence"

Le corps français des "Tirailleurs sénégalais", créé sous le Second Empire (1852-1870) et dissous dans les années 1960, rassemblait des militaires des anciennes colonies d'Afrique.
Le terme a fini par désigner l'ensemble des soldats d'Afrique qui se battaient sous le drapeau français. Ils ont participé aux deux Guerres mondiales et aux guerres de décolonisation.

Selon l'Association pour la mémoire et l'histoire des tirailleurs sénégalais, 37 tirailleurs - tous d'origine sénégalaise, et ayant servi principalement en Indochine et en Algérie - vivent en France. Parmi eux, un premier groupe - M. Diao et huit autres, âgés de 85 à 96 ans, - s'envolera vendredi pour le Sénégal.

Ce retour a été rendu possible grâce à une mesure dérogatoire décidée par le gouvernement français, qui leur permet de vivre en permanence dans leur pays d'origine, sans perdre leur allocation minimum vieillesse de 950 euros par mois.
Une aide exceptionnelle de l'Etat finance leur déménagement, leur vol retour et leur réinstallation.
Ces mesures sont les ultimes batailles menées par Aïssata Seck, 43 ans, petite-fille d'un tirailleur, et présidente de l'Association.
Cela fait dix ans qu'elle lutte pour ces "anciens". "Choquée" par leurs conditions de vie et leurs difficultés souvent "humiliantes" dans leurs démarches administratives.
"Il y a eu négligence" de l'Etat à leur égard, martèle la conseillère régionale d'Ile-de-France et conseillère municipale à Bondy, rappelant que la France n'a levé qu'en 2006 les mesures de gel qui bloquaient les pensions des anciens combattants coloniaux, contrairement à celles des anciens combattants français qui étaient revalorisées.
Elle lance en 2016 une pétition et l'ex-président François Hollande accorde aux tirailleurs la nationalité française en 2017. Puis le gouvernement d'Emmanuel Macron annonce début 2023 cette mesure dérogatoire pour leur allocation.
"J'ai rien lâché" pour rappeler leurs "sacrifices", lance Mme Seck.
Engagé volontaire dans l'armée française par tradition familiale, Yoro Diao dit ainsi avoir "donné sa jeunesse à la France" et avoir été "touché au moral" par la perte au combat de compagnons d'armes.
En particulier celle de son grand ami Fernand Lotier, un soldat français tué à ses pieds en Indochine. "Il a pris une balle en pleine poitrine; il m'a dit +Yoro je vais mourir !, j'ai dit +non Lotier quand même !+ puis il m'a montré sa blessure..."

"Terrible" Indochine, l'Algérie

M. Diao raconte avec acuité l'enfer de cette guerre d'Indochine où il a passé trois ans à partir de 1951, dans des "pluies torrentielles", les "animaux charognards qui mangeaient la chair humaine".
"C'était terrible... j'étais infirmier major, chef des brancardiers; (je transportais) les blessés sous le feu de l'ennemi; c'est +la baraka+, j'ai pas été blessé mais j'ai perdu beaucoup de camarades", souffle-t-il.
Puis il sera mobilisé pour la guerre d'Algérie, pendant deux longues années.

Alors, cette obligation de passer six mois par an en France, M. Diao l'a vécue avec incompréhension et a souffert "d'isolement", n'ayant pas les moyens pour faire venir sa famille.

Avec pudeur, il confie être meurtri de ne pas avoir été aux côtés de son épouse quand elle est décédée en 2017. "Je la perds comme ça, sans être présent... nous avons fait 40 ans de mariage, ça faisait mal !".
En 2015, il se rend au Sénégal deux fois (au lieu d'une fois réglementaire) pour s'occuper d'elle. Il est depuis 2016 sanctionné par l'administration française qui lui prélève 66 euros par mois, et lui réclame encore plus de 13.000 euros.
"Par rapport à ma carrière militaire, c'est dur...", lâche M. Diao.
Selon lui, les dernières mesures gouvernementales arrivent ainsi "tard". Cela a "mis trop de temps pour coïncider avec notre vie...".
Mais "mieux vaut tard que jamais", concède-t-il, évoquant sa joie de revoir ses petits et arrière-petits-enfants. "Je vais bien vivre, je vais manger, je vais me promener dans le village".

Aïssata Seck est "très contente" pour les neuf tirailleurs, qui "rentrent de manière sereine". "C'est le retour de leur dignité", lance-t-elle.

26/04/2023 09:45:43 -          Bondy (AFP) -          © 2023 AFP

A 95 ans, le tirailleur Yoro Diao peut enfin rentrer "dignement" au Sénégal (lepoint.fr)