A 95 ans, le tirailleur Yoro Diao peut enfin rentrer "dignement" au Sénégal
© AFP/Geoffroy Van der Hasselt |
Publié le 26/04/2023 à 08h14
"C'est une victoire !", lance-t-il à l'AFP depuis son studio dans un foyer à Bondy, en région parisienne. L'effervescence et le chamboulement du grand départ pour rentrer à Kaolack (centre du Sénégal) y sont palpables.
Il reçoit en impeccable costume, arborant à l'occasion ses nombreuses médailles militaires. Un regard et un sourire bienveillants adoucissent son visage émacié.
Trois valises s'entassent au sol, encombrant l'espace entre son lit et un bureau débordant de dossiers administratifs.
Une autre valise a été coincée sous son lit, pleine de photos de famille et de "camarades" anciens combattants, "des souvenirs" qu'il regarde ému, dont la cérémonie où il a reçu la Légion d'honneur en 2017. "C'est le président Hollande qui devait me décorer mais il n'avait pas le temps, alors il a délégué le préfet...", glisse-t-il avec malice.
"Négligence"
Selon l'Association pour la mémoire et l'histoire des tirailleurs sénégalais, 37 tirailleurs - tous d'origine sénégalaise, et ayant servi principalement en Indochine et en Algérie - vivent en France. Parmi eux, un premier groupe - M. Diao et huit autres, âgés de 85 à 96 ans, - s'envolera vendredi pour le Sénégal.
Une aide exceptionnelle de l'Etat finance leur déménagement, leur vol retour et leur réinstallation.
Ces mesures sont les ultimes batailles menées par Aïssata Seck, 43 ans, petite-fille d'un tirailleur, et présidente de l'Association.
Cela fait dix ans qu'elle lutte pour ces "anciens". "Choquée" par leurs conditions de vie et leurs difficultés souvent "humiliantes" dans leurs démarches administratives.
"Il y a eu négligence" de l'Etat à leur égard, martèle la conseillère régionale d'Ile-de-France et conseillère municipale à Bondy, rappelant que la France n'a levé qu'en 2006 les mesures de gel qui bloquaient les pensions des anciens combattants coloniaux, contrairement à celles des anciens combattants français qui étaient revalorisées.
"J'ai rien lâché" pour rappeler leurs "sacrifices", lance Mme Seck.
Engagé volontaire dans l'armée française par tradition familiale, Yoro Diao dit ainsi avoir "donné sa jeunesse à la France" et avoir été "touché au moral" par la perte au combat de compagnons d'armes.
En particulier celle de son grand ami Fernand Lotier, un soldat français tué à ses pieds en Indochine. "Il a pris une balle en pleine poitrine; il m'a dit +Yoro je vais mourir !, j'ai dit +non Lotier quand même !+ puis il m'a montré sa blessure..."
"Terrible" Indochine, l'Algérie
"C'était terrible... j'étais infirmier major, chef des brancardiers; (je transportais) les blessés sous le feu de l'ennemi; c'est +la baraka+, j'ai pas été blessé mais j'ai perdu beaucoup de camarades", souffle-t-il.
Puis il sera mobilisé pour la guerre d'Algérie, pendant deux longues années.
Alors, cette obligation de passer six mois par an en France, M. Diao l'a vécue avec incompréhension et a souffert "d'isolement", n'ayant pas les moyens pour faire venir sa famille.
En 2015, il se rend au Sénégal deux fois (au lieu d'une fois réglementaire) pour s'occuper d'elle. Il est depuis 2016 sanctionné par l'administration française qui lui prélève 66 euros par mois, et lui réclame encore plus de 13.000 euros.
"Par rapport à ma carrière militaire, c'est dur...", lâche M. Diao.
Selon lui, les dernières mesures gouvernementales arrivent ainsi "tard". Cela a "mis trop de temps pour coïncider avec notre vie...".
Mais "mieux vaut tard que jamais", concède-t-il, évoquant sa joie de revoir ses petits et arrière-petits-enfants. "Je vais bien vivre, je vais manger, je vais me promener dans le village".
Aïssata Seck est "très contente" pour les neuf tirailleurs, qui "rentrent de manière sereine". "C'est le retour de leur dignité", lance-t-elle.
26/04/2023 09:45:43 - Bondy (AFP) - © 2023 AFP
A 95 ans, le tirailleur Yoro Diao peut enfin rentrer "dignement" au Sénégal (lepoint.fr)
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