Thursday, December 28, 2023

 



L'Est Républicain
Edition de Meuse

Sortir, dimanche 24 décembre 2023 542 mots, p. BADU32

Verdun

Patrick Serge Boutsindi situe l’action de son dernier roman à Verdun

Richard Raspes

Mi-récit historique, mi-roman, Patrick Serge Boutsindi livre, dans  Secret de famille à Verdun, une tranche de vie qui mêle histoire, amour et tradition. Un moyen pour l’écrivain de rendre hommage aux tirailleurs sénégalais venus combattre à Verdun lors de la Grande Guerre.

Avec  Secret de famille à Verdun, Patrick Serge Boutsindi rend hommage aux tirailleurs sénégalais.   Photo R.R.

À Verdun, tout le monde connaît la cérémonie du Bois des Caures organisée par l’association de la Sidi-Brahim Verdun Meuse qui, chaque 21 février, rend hommage aux héros des 56e et 59e bataillons de chasseurs à pied dirigés par le lieutenant-colonel Driant. Une date qui marque le début du déluge de feu d’obus tirés par l’armée allemande lançant la Bataille de Verdun.

Une histoire dans l’Histoire

C’est sur cette terre dévastée, qu’un siècle plus tard, l’auteur Patrick Serge Boutsindi plante le décor de la première scène de son roman Secret de famille à Verdun. Une forêt ravagée cette fois par un autre ennemi, le scolyte, un insecte qui, en silence lui, décime les épicéas plantés après la Grande Guerre.

Une cérémonie de replantation d’une centaine d’arbres est organisée sur ce site de mémoire en février 2020.

C’est là que l’on fait connaissance avec l’héroïne du roman, Célestine Bonazébi, une Congolaise invitée par Alain Duval, un Verdunois passionné d’histoire, qui lui a proposé de replanter un arbre en mémoire de son arrière-grand-père, un tirailleur sénégalais tombé au champ d’honneur dont la trace a été retrouvée après de longues recherches.

Si les personnages sont fictifs, « les faits sont réels, j’ai travaillé deux ans et demi à me documenter et à écrire », précise l’écrivain lui-même originaire du Congo-Brazzaville, arrivé en France il y a maintenant trente ans pour ses études de littérature à Metz.

Car c’est depuis tout gamin que Patrick Serge Boutsindi nourrit sa passion pour les mots. « J’ai commencé à écrire vers 12 ans. Aujourd’hui j’ai sorti 25 livres, des romans, des recueils de nouvelles, des contes africains pour les enfants », détaille celui qui s’est fait connaître avec L’Enfant soldat.

Son premier roman, dont le propos est toujours hélas d’actualité.

Des liens d’amitié avec des Verdunois

C’est bien sûr un vibrant hommage à tous ceux que l’on négligemment rassemblés sous la bannière de « tirailleurs sénégalais » que l’auteur a voulu rendre. Il souligne que 6 000 d’entre-eux sont venus se battre à Verdun, un choix pour certains, une contrainte pour d’autres. Des sacrifiés longtemps oubliés lors des cérémonies. Sans dévoiler toute l’intrigue bien sûr, le lecteur est ainsi plongé dans un récit qui mêle histoire, généalogie, secrets, amour, poids des traditions, complot, le tout en plein contexte de pandémie mondiale.

Régulièrement en séances de dédicaces dans la Capitale de la Paix, celui qui habite Montigny-lès-Metz s’est lié d’amitié avec Pétra et Daniel Zilliox qui tiennent la chambre d’hôte la Villa Chantal et chez lesquels il loge.

« Cela fait dix ans maintenant que je vais chez eux. Ce couple m’a beaucoup aidé, notamment dans la recherche de documentation. »

Verdun. Patrick Serge Boutsindi révèle les secrets de familles des tirailleurs sénégalais venus à Verdun (estrepublicain.fr)

Nota : le livre est sorti en octobre 2022

Sunday, December 03, 2023

 





Pourquoi des "tirailleurs sénégalais" furent-ils enfermés dans des camps de travail à l'époque coloniale ?

Jeudi 23 novembre 2023

"Tirailleurs sénégalais" à l'instruction dans un camp d'entraînement dans les colonies françaises en Afrique, photographie prise le 04 décembre 1939 ©AFP - AFP PHOTO ARCHIVES

Le décret du 31 octobre 1926 contraignit les réservistes mobilisables à servir, pendant deux années, comme travailleurs sur les chantiers publics de la colonie. Pourquoi cette décision administrative plaça les tirailleurs sénégalais réservistes dans une position ambiguë ?

Même si tout le monde connait aujourd'hui le rôle que les tirailleurs sénégalais ont joué lors des deux guerres mondiales, peu de gens savent que, dans toute l’Afrique occidentale française (AOF), le recrutement militaire était composé de deux ensembles. Les hommes qui faisaient partie du premier ensemble étaient appelés à rejoindre l’armée, mais le second ensemble était considéré comme une réserve de soldats.

Une décision administrative pour encadrer et discipliner les populations dites "indigènes"

Le décret du 31 octobre 1926 contraignit les réservistes mobilisables à servir, pendant deux années, comme travailleurs sur les chantiers publics de la colonie. Cette décision administrative plaça ces réservistes dans une position ambiguë, car il s'agissait de travailleurs recrutés dans un contingent militaire, mais qui dépendaient d’employeurs civils. Sans précédent en métropole, ce service civil à caractère militaire fit partie des instruments ordinaires de maintien de l’ordre qu'utilisèrent les autorités coloniales pour encadrer et discipliner les populations dites "indigènes". Cette innovation avait aussi pour but de contourner les recommandations de la Convention sur le travail forcé adoptée par le Bureau international du travail en 1930. On constate néanmoins que le recours à ce type d'enrôlement fut assez rare dans les années 1930. Le nombre des recrues ne dépassa pas 500 travailleurs et la majorité d'entre eux furent utilisés pour la construction de la ligne de chemin de fer Dakar-Niger. Mais le dispositif fut brutalement réactivé au début des années 1940 par le régime de Vichy qui en fit un levier essentiel pour mobiliser la main-d’œuvre coloniale.

Les tirailleurs-travailleurs sénégalais étaient regroupés dans des camps de travail et vivaient dans des conditions misérables. Ils subissaient une forme de travail forcé

Ce sont plus de 3 000 hommes, venus de toute l’AOF, qui furent alors mobilisés pour travailler sur les nouveaux chantiers ouverts principalement dans la circonscription de Dakar. Regroupées dans des camps de travail, ces recrues vivaient dans des conditions misérables. L’insalubrité et les violences quotidiennes causèrent un grand nombre de décès. Mais il semble que le motif principal qui poussa ces recrues à la révolte fut d'un autre ordre. Ces travailleurs ne supportaient pas l’inégalité de leur statut comparé à ceux qui avaient rejoint l'armée. Leur contestation se focalisa sur la question de l'uniforme de soldat - ce symbole de prestige et d’appartenance auquel ils n'avaient pas accès, alors qu'ils se considéraient comme des tirailleurs de plein droit. Ce sentiment d'injustice provoqua des formes de refus et des mouvements d’indisciplines divers : désertion, ralentissement de la cadence, maladie feinte, refus de recevoir la paie, voire des arrêts collectifs de travail. Bien que le régime républicain ait été rétabli en 1944-45, cette forme de travail forcé ne fut pas immédiatement abolie. Néanmoins, la reconfiguration de la politique coloniale après la guerre, les discours officiels sur le respect de la dignité et sur la construction d'un avenir commun, donna plus de poids aux revendications de ces tirailleurs-travailleurs sénégalais. La forme de travail forcé à laquelle ils avaient été soumis depuis les années 1920 fut définitivement supprimée au début de l’année 1950.

Bibliographie

  • Romain Tiquet, "Enfermement ordinaire et éducation par le travail au Sénégal (1926-1950)", Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2018, n°140, pages 29 à 40.
Pour écouter :

Pourquoi des "tirailleurs sénégalais" furent-ils enfermés dans des camps de travail à l'époque coloniale ? (radiofrance.fr)

 

Les tirailleurs sénégalais, les braises du souvenir et la flamme des JO

Depuis Dakar, le président du département français de Seine-Saint-Denis a proposé que l’ancien tirailleur sénégalais Oumar Diemé porte la flamme olympique, à l’occasion des Jeux Paris 2024.


Damien Glez, dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

Publié le 15 novembre 2023

Si les plus fameux porteurs de la flamme olympique restent des sportifs, comme le boxeur Mohamed Ali affaibli par la maladie de Parkinson en 1996, les critères fixés par le comité d’organisation des Jeux olympiques n’exigent ni carrière de champion ni notoriété de star. Pour contribution à « une société plus solidaire, plus inclusive, plus durable et plus juste », des inconnus relaieront, dans la perspective de « Paris 2024 », le footballeur Lilian Thuram, l’humoriste Jamel Debbouze ou l’astronaute Thomas Pesquet. Et dans le département de Seine-Saint-Denis, c’est un Africain pas si inconnu qui pourrait porter le prestigieux flambeau.

Inlassable témoin

À l’heure où la crise proche-orientale, vecteur d’antisémitisme, s’invite en France, certains comptabilisent les contributions des ressortissants de contrées majoritairement musulmanes à l’histoire hexagonale contemporaine. Loin du débat conjoncturel, le président du département de Seine-Saint-Denis suggère qu’un ancien tirailleur sénégalais porte la flamme olympique en juillet prochain, au titre du « travail de mémoire indispensable ». C’est à Dakar, en visite officielle, que Stéphane Troussel l’a proposé à Oumar Diemé, un nonagénaire qui vient de repartir vivre au Sénégal, à la suite du droit récemment accordé de toucher la pension d’ancien combattant tout en résidant dans son pays d’origine.

Né en 1932 au Sénégal, naturalisé français en 2017, Oumar Diemé fut engagé volontaire dans la Marine nationale française de 1953 à 1965. Il a participé aux guerres d’Indochine et d’Algérie, avant de militer, depuis la ville française de Bondy et pendant de longues années, pour que ses frères d’armes venus d’Afrique obtiennent des droits à la hauteur de leur sacrifice. Il a inlassablement arpenté les coursives des établissements scolaires pour parler de son histoire.

Plus le nombre de tirailleurs sénégalais se réduit, plus les hommages se multiplient. Des reconnaissances tardives de droits équivalents à ceux des anciens combattants d’origine française aux témoignages artistiques – comme le long métrage récent « Tirailleurs » de Mathieu Vadepied -, en passant par toutes sortes de médailles… Le port de la flamme olympique sera-t-il une nouvelle « décoration » pour Oumar Diemé ? Son nom figure sur une liste qui compte vingt candidats. Le porteur de flamme sélectionné doit être annoncé début 2024.

Les tirailleurs sénégalais, les braises du souvenir et la flamme des JO - Jeune Afrique