Sunday, November 03, 2024

Lors des RDV de l’Histoire de Blois - Marathon des Images, Didier Lauret a fait une intervention le 12 octobre 2024
au cinéma Le Lobis - Blois :

L’énigmatique Tirailleur de Gien


Photo : Jacob, G – Pk.637 - Droits réservés : ECPAD – Images de la Défense, fonds allemand DAT 1332


La photo que vous voyez n'aurait pas dû exister, car il s’agit d’une photo de propagande allemande faite par un opérateur des Propaganda Kompanien, unités militaires qui avaient la charge de produire des images pour le 3e Reich et sa machine de propagande bien rodée.  
Elle est l’œuvre de G. Jacob un des Bildberichter, reporter photographe de la PK. 637, qui l’a faite à Gien en juin 1940. Elle nous montre un jeune tirailleur sénégalais fait prisonnier, réquisitionné pour déblayer les décombres de la ville détruite à près de 80 % sur sa rive nord après les bombardements allemands. Cette photo sort des clous, ceux des critères raciaux nazis qui classifiaient les soldats noirs de l'armée française comme des sauvages dégénérés, assoiffés de violence et que la propagande allemande montrait habituellement sous des aspects moins flatteurs. On ne connaît pas grand-chose sur ce jeune soldat. Ce que l’on voit c’est le nombre 17 qui se trouve sur les pates du col de sa vareuse. Celui-ci indique le numéro de son unité, le 17e BATS, Bataillon Autonome de Tirailleurs Sénégalais, unité de renfort créée mi-avril 1940, affectée à la 7e Division d’Infanterie Coloniale le 12 juin, positionnée le 17 juin au nord de Châteauneuf-sur-Loire et finalement dissoute le 29 juillet 1940. Les archives militaires nous indiquent que sur un effectif de 797 hommes à sa création, ils ne seront plus que 97 à l’appel lors de la dissolution du bataillon, soit 88 % de disparus. Les soldat faits prisonniers étant considérés comme disparus. 
Nous ignorons si notre jeune tirailleur a été engagé dans la bataille de Châteauneuf-sur-Loire. Les combats qui ont eu lieu pour bloquer l’accès à la Loire et protéger le retrait de la division ont duré près de 17 heures. 167 soldats français ont perdu la vie dont 98 soldats africains non identifiés. 
Assez parlé de chiffres et revenons à la photo. Ce qu’il y a d’énigmatique, c’est qu’elle est plus utilisée de nos jours qu’à l’époque où elle a été prise. On la retrouve régulièrement dans des publications ou des films. Le portrait de ce tirailleur est devenu un symbole de l’engagement de ces soldats africains venus combattre en France. On peut comprendre pourquoi cette photo est utilisée ou plébiscitée car force est de constater qu’elle possède un fort pouvoir d’attraction. Quelque chose se dégage de ce portrait. Ce visage exprime-t-il de la tristesse, de la peur ou d’une forme de sidération ? Difficile de le dire !  
Ce qui est certain c’est que cette image est le fruit d’un geste photographique produit par un photographe confirmé possédant la culture photographique de son époque. On ne peut pas échapper à l’esthétisme des films de Leni Riefenstahl tant la pose, l’éclairage, le cadre nous renvoient aux images du Triomphe de la Volonté.  Nous savons que les nazis étaient fascinés par les grecs anciens et leurs productions artistiques. Dans cette photo, il y a la possibilité de voir le visage d’une statue grecque avec la particularité qu’il a la peau noire. C’est peut-être ce que G.Jacob a vu au moment de déclencher ou bien alors, l’espace d’un instant, il s’est pris pour Leni Riefenstahl.  
Cette photo s’accorde surtout avec une autre référence photographique majeure de l’époque. Il s’agit d’August Sander et son œuvre magistrale Les Hommes du XXe siècle. Ce portrait trouverait toute sa place dans cette œuvre tant il obéit aux codes définis par Sander. Walter Benjamin et Susan Sontag l’auraient certainement validé. Et puis, les tirailleurs sénégalais ne font-ils pas pare intégrante des Hommes du XXe siècle
Un autre photographe est convoqué dans cette image. Il s’agit d’Henri Cartier-Bresson et son célèbre instant décisif. De toute évidence, cette photo n’aurait pas été la même dans une autre fraction de seconde. 
Il me reste à vous livrer une dernière interrogation qui subsiste. Très peu de livrets militaires des tirailleurs du 17e BATS avaient été mis à jour, probablement dans l’urgence de la constitution de cette unité. Il semble alors assez étrange qu’on puisse confectionner des uniformes spécialement pour ce bataillon. C’est pourquoi l’énigme de la présence de ce numéro 17 reste encore à élucider. 

Didier Lauret

Octobre 2024

Liens internet

Captation de l’évènement disponible sur Youtube, communication accessible 2:57:55   htps://www.youtube.com/live/RKkCn-XvplY?si=wXS2OUfgRadECvPo

Le Marathon des Image sur le site des RDV de l’Histoire de Blois htps://rdv-histoire.com/programme/le-marathon-des-images-1

Le programme du Marathon des Images 2024 htps://www.tirailleurs-loire.fr/download/31725/


Association AXISMUNDIS - 82 rue de Belleville – 75020 PARIS
email : contact@axismundis.com  
Association loi 1901 – SIRET 843 213 281 00010 
Identifiant RNA W751221106 - Préfecture de Paris 

Cérémonie de commémoration du 11 novembre 2024 en l'honneur des tirailleurs sénégalais.

à la Place des Tirailleurs Sénégalais, dans le 18ème arrondissement de Paris


 


Massacre de Thiaroye: un hommage rendu aux tirailleurs sénégalais à Morlaix

Il y a 80 ans, le drame de Thiaroye au Sénégal marquait l’histoire. Dans le camp militaire de la ville, des tirailleurs tout juste rentrés de France, qui demandaient le versement de leurs soldes de guerre, étaient tués par l’armée française, accusés par la France de rébellion. Cette histoire tragique a débuté dans la ville de Morlaix, en Bretagne, d'où sont partis les tirailleurs. La ville a officiellement rendu hommage pour la première fois à ces hommes, lors d’une cérémonie vendredi 1ᵉʳ novembre au matin.

Publié le : 01/11/2024 - 15:14    Modifié le : 02/11/2024 - 10:16

Le maire de Morlaix, Jean-Paul Vermot (à droite) salue des membres de la délégation de Thiaroye, invités pour cette première cérémonie d’hommage aux tirailleurs sénégalais dans la ville bretonne, le 1er octobre 2024. © Guillaume Thibault / RFI


Pour en savoir plus :

Massacre de Thiaroye: un hommage rendu aux tirailleurs sénégalais à Morlaix


Commémoration du 80ème anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye, le 1er décembre 1944 

Cette commémoration était à l'ordre du jour du Conseil des Ministres du Sénégal le 23 octobre, ainsi que le précise cet extrait du communiqué du Conseil des Ministres du 23 octobre :

Le Premier Ministre a ensuite porté à la connaissance du Conseil l’état d’avancement satisfaisant des travaux du Comité de Commémoration du 80ème anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye, le 1er décembre 1944, présidé par le Professeur Mamadou Diouf. Les travaux de recherche par l’exploitation des sources primaires et secondaires des archives existantes sont bien avancés pour rétablir la vérité historique sur ce tragique événement. Ils seront complétés par une prochaine mission en France pour approfondir la collecte documentaire. Concernant le programme de commémoration, une démarche inclusive a été adoptée avec l’implication active des collectivités et des acteurs culturels nationaux ainsi que des autres pays africains d’origine des tirailleurs.


LE COMMUNIQUÉ DU CONSEIL DES MINISTRES DU MERCREDI 23 OCTOBRE 2024


 CHASSELAY ET AUTRES MASSACRES

Une pièce de théâtre, au Théâtre du Nord, à Tourcoing,

CHASSELAY ET AUTRES MASSACRES - Théâtre du Nord.

Texte et mise en scène Éva Doumbia

Françoise Croset écrit sur la pièce :

Chasselay et autres massacres , pièce écrite et mise en scène par Eva Doumbia, a été présentée du 8 au 11 octobre au Théâtre du Nord, à Tourcoing. J’ai pu aller voir le spectacle.

C’est une pièce intéressante, qui porte la volonté de l’autrice de mettre fin à l’oubli, ou à la méconnaissance ici en France, des massacres  perpétrés contre des tirailleurs sénégalais, soldats coloniaux de l’armée française, par des soldats de l’armée allemande en mai-juin 1940 lors de l’invasion militaire de la France.

La pièce offre de belles scènes, comme celle où deux frères africains se retrouvent : l’un tirailleur sénégalais combattant contre l’armée allemande en ce mois de juin 1940 au nord de Lyon, l’autre fils d’une Allemande et d’un tirailleur sénégalais qui dans les années 1920 occupa la Rhénanie après la défaite de 1918 de l’Allemagne, et qui a fui l’Allemagne nazie. Les acteurs portent bien la pièce, ils jouent juste. Plusieurs personnages sont des figures complexes et vraiment intéressantes. J’ai cependant été un peu gênée par la présentation trop caricaturale de l’officier français, cadre de la coloniale, qui est à Chasselay avec les tirailleurs.

Aussi, la pièce m’a parue un peu trop longue. Ceci tient probablement à la décision d’évoquer non seulement le massacre de Chasselay mais d’autres massacres et assassinats commis par des soldats allemands en mai et juin 1940, et d’autres épisodes concernant les tirailleurs sénégalais (ainsi l’engagement du tirailleur Addi Bâ dans la résistance dans la région des Vosges et son assassinat par la Gestapo). Eva Doumbia s’inscrit dans une démarche centrée sur la mémoire des victimes.

Un petit regret : la pièce ne permet pas de bien saisir ce qui a provoqué le massacre de Chasselay. La haine raciste de certains soldats et officiers de l’armée allemande, réelle et criminelle, n’explique pas tout ; les plans tactiques et calculs politiques des autorités françaises à la date des 19 et 20 juin sont d’autres éléments qui doivent être pris en compte (tenir les positions au nord de Lyon, alors que la ville avait été déclarée « ville ouverte », pour protéger l’armée des Alpes face à l’avancée allemande). Dénoncer « la guerre » me semble une approche discutable.    

Ainsi, avec cette nouvelle pièce au centre de laquelle sont les tirailleurs sénégalais, la réflexion et la discussion sur la place dans notre temps actuel de l’histoire de ces soldats coloniaux et des guerres dans lesquelles ils furent engagés se poursuit.

Où voir la pièce :

-      22 au 23 janvier 2025 l Le Volcan - Scène Nationale du Havre

Monday, October 14, 2024

Moi… Tirailleur sénégalais

Un récit autobiographique

de Mamadou Niang

Collection : Harmattan Sénégal



Ce récit autobiographique relate la vie de Mamadou Niang, originaire de Rufisque, Sénégal. Enrôlé dans l’armée française en 1949, il reçoit une formation militaire à Bamako, puis se spécialise en finances en France. Il participe aux guerres d’Indochine et d’Algérie. Après sa retraite militaire en 1969, il rentre au Sénégal pour travailler à l’ASECNA jusqu’en 1989. En parallèle, Niang est un sportif accompli, pratiquant le judo à haut niveau.

Son histoire, marquée par ses contributions militaires et civiles, témoigne d’une vie riche et dédiée au service de son pays et de la communauté.

Pour en savoir plus :

Premier roman : le journaliste Christian Eboulé revisite la France coloniale à travers le destin tragique d’un officier africain - Chemins d'écriture (rfi.fr)

La préface du roman, par Samba DIOPProfesseur titulaire des universités, Oslo, Norvège :

Ce livre, ce court récit autobiographique que le lecteur a entre les mains, est riche d'enseignements ; ce récit ne constitue pas à proprement parler des « Mémoires » si l’on définit ce genre comme étant une relation écrite, sur une longue période et dont l’auteur, en l’occurrence Mamadou Niang, est à la fois acteur, auteur et témoin. Ainsi, pour être plus circonstancié, l’auteur puise dans sa mémoire et dans ses souvenirs afin de relater les faits saillants qui ont marqué sa vie militaire et professionnelle. À proprement parler, M. Niang n’est pas un tirailleur sénégalais mais, plutôt, un militaire bien formé avec un niveau d’éducation très élevé ; il s’est affublé cette appellation de « tirailleur », sûrement, par esprit et solidarité de corps.

Je suis en train de sauter le pas. II faut commencer par le commencement. Mamadou Niang, plus connu sous le sobriquet de Doudou Niang, a fait une brillante carrière dans l’armée française. un curriculum vitae qui a démarré vers la fin des années 1940, sous l'époque coloniale. En ce temps, l'empire colonial français était en train de subir les contre-coups de la décolonisation en Asie, en Afrique et ailleurs.

Qu'importe, le Sénégal avait les quatre communes de Dakar (créée en 1887), Gorée (1872), Rufisque (1880) et Saint-Louis (1872). Ainsi Gorée et Saint-Louis sont les plus anciennes des communes ; en plus, Saint-Louis a l’insigne honneur d'avoir été la capitale de l'AOF (Afrique Occidentale Française).

Pour faire court, les originaires de ces communes étaient exemptés des rigueurs du système de l'indigénat. Cependant, ils n’avaient pas tous les droits des citoyens français de plein exercice. C'est grâce à la loi Blaise Diagne (du nom du premier député noir africain à l’Assemblée nationale française) en date du 29 septembre 1916 que les natifs des quatre communes ont acquis la pleine citoyenneté française. II a fallu attendre 1946 avec la Loi Lamine Guèye (premier avocat du Sénégal) pour que l'indigénat soit complètement aboli et, de ce fait, étendre la citoyenneté à tous les habitants des colonies françaises.

En tant que natif de Rufisque, Mamadou Niang a été enrôlé dans l’armée française vers la fin des années 1940 afin d'accomplir son service militaire. Ainsi débuta une carrière riche en rebondissements, défis et accomplissements ; le jeune conscrit est aussitôt envoyé à Bamako dans l'ancien Soudan français (actuel Mali). Ensuite, la hiérarchie militaire ayant remarqué que Niang était un élément très doué et avait de grandes capacités intellectuelles, décision fut prise de l’envoyer à Nantes en France afin d continuer une formation professionnelle dans le domaine financier et comptable mais toujours au sein de l'armée. Dans ce livre, Niang nous fait entrevoir tout un pan de l’histoire coloniale française en Afrique noire.

Ce récit enthousiasmant me fait aller trop vite en besogne ; je me dois donc de revenir un peu en arrière et relever comment Doudou Niang narre sa jeunesse à Rufisque ainsi que sa scolarité menée entre Rufisque et Dakar. II faut aussi inclure l'épisode sur sa vie d'adolescent, passée à chaparder des mangues, à vadrouiller dans la brousse ou à aller à la plage, etc., une enfance insouciante que la plupart des générations précédentes ont connue ; il faut noter que dans les années 1940 jusqu'aux années 1980, les villes du Sénégal étaient semi-urbaines et la campagne (la brousse) n’était jamais loin ; cependant. de moins en moins de jeunes habitant les villes font l'expérience formatrice d'une telle enfance à cause des transformations sociales et de l'urbanisation galopante. Surtout. Niang était un amoureux de la boxe et s’entrainait avec assiduité et sérieux sous la direction d'un coach français répondant au nom de Monsieur LeGrijoix ; d’ailleurs le récit s’ouvre sur cet épisode ayant trait au pugilat. Plus tard, Niang va s’adonner au judo jusqu'à brillamment atteindre le niveau de ceinture noire 2ème dan. Sans compter les riches traditions culturelles rufisquoises qu'il évoque, telles que la lutte que relate l'auteur ; Rufisque étant au bord de l'océan Atlantique, forcément, le sujet de la pêche artisanale allait enrichir le récit, en plus de l'évocation des régates, ces fêtes annuelles de courses de pirogues.

Mamadou Niang va bourlinguer à travers le monde et est l'un des rares Sénégalais vivants à avoir été témoin de deux guerres coloniales : Indochine (Vietnam) et Algérie. Il a eu aussi le privilège et l'opportunité d’avoir travaillé au sein du service de la Direction centrale du Commissariat de l'Air, en d'autres termes, un service d'inspection de l’armée. II va sans dire que peu de soldats ont l’occasion de servir dans ce prestigieux service. Cette affectation l’a amené à beaucoup voyager dans l’Hexagone ainsi que dans les territoires où la France avait des bases et casernes militaires. Niang a reçu de nombreuses décorations militaires. Lors de son séjour parisien, Niang eut l’occasion de fréquenter l’université afin de parfaire sa formation.

En 1969, après avoir bouclé le nombre d'années requises afin de prendre sa retraite de l’armée, Niang rentre au Sénégal (au pays natal, pour paraphraser le grand poète de la Négritude, le Martiniquais Aimé Césaire) où il obtient un poste en tant que chef de service administratif et financier à l’ASECNA avec le statut de coopérant français avant de prendre une retraite définitive bien méritée le 1er Juin 1988. Après avoir passé tant d'années à l’étranger, Niang se devait de se réacclimater. Il ne se contentera pas seulement d'assumer ses nouvelles hautes responsabilités à l’ASECNA car il prendra activement part aux activités de renaissance sociale, sportive, culturelle et économique de sa ville natale de Rufisque.

II est temps de conclure et de ne pas tout raconter et, ainsi, laisser le soin au lecteur de lire ce livre séminal. Ce n’est pas par hasard que j’utilise le terme « séminal » car, en observant le riche parcours de Doudou Niang, non seulement on se rend compte qu’il a semé la bonne graine, mais en plus il sert de modèle aux générations actuelles, en plus de baliser la voie pour la postérité. Les générations sénégalaises et africaines actuelles et à venir ont besoin du genre de personne telle que Mamadou Niang qui, à la fois, inspire et démontre qu’une vie bien remplie, ancrée dans le sérieux, l’éducation, les études et la formation, la discipline, le courage, la volonté, l'honnêteté, la persévérance. la droiture. la patience, la foi, l'effort constant dans le travail bien fait, l’assumation de ses responsabilités, enfin et surtout, la famille, une telle vie vaut bien la peine d’être vécue pour dire le moins.

Je recommande vivement cet ouvrage riche en enseignements, somptueux en aventures, découvertes, bildung (formation) et, enfin, plein de pépites de sagesse. Puissent ce livre et son contenu susciter une saine émulation au sein de la jeunesse sénégalaise et africaine. C'est mon vœu le plus ardent.

DISPARITIONS

Mort d’Amadou Mahtar Mbow, ancien directeur général de l’Unesco

Premier Africain à la tête de l’agence onusienne chargée de l’enseignement et de la culture, l’intellectuel sénégalais est mort le 24 septembre à Dakar. Il avait 103 ans.

Par Pierre Lepidi
Publié le 24 septembre 2024 à 16h58, modifié le 24 septembre 2024 à 19h47 

Amadou Mahtar Mbow, directeur général de l’Unesco, lors d’une réunion à Paris, le 20 octobre 1987. GEORGES MERILLON / GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES

Par son érudition et sa traversée d’un siècle, Amadou Mahtar Mbow était l’une des bibliothèques vivantes les plus riches d’Afrique de l’Ouest. Il est mort, mardi 24 septembre, à Dakar, là où il était né cent trois ans plus tôt. Ardent défenseur des libertés, Amadou Mahtar Mbow a eu mille vies qui ont notamment fait de lui le premier Africain directeur général de l’Unesco.

Né en mars 1921, Amadou Mahtar Mbow grandit à Louga, dans le nord-ouest du Sénégal. A la fin des années 1920, la région est frappée par la famine. Le gamin voit des gens mourir et ces images le marqueront à vie. « Il faut avoir vécu cela pour en comprendre l’angoisse », disait-il. La seconde guerre mondiale éclate, il a 18 ans.

Amadou Mahtar Mbow s’engage en tant que volontaire dans l’armée de l’air et intègre l’Ecole des radiotélégraphistes de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Dans la ville encerclée, il parvient régulièrement à franchir la ligne de démarcation. Il est démobilisé en 1940 et retourne au Sénégal, où il travaille au service économique de la circonscription de Dakar et dépendances. La guerre devient mondiale et, en janvier 1943, Amadou Mahtar Mbow est rappelé sous les drapeaux puis affecté à la base aérienne de Thiès, près de Dakar. De là, il réussit le concours d’entrée à l’Ecole supérieure de tir aérien d’Agadir qui lui permet de servir, jusqu’en octobre 1945, au Maroc puis en France.

Désaccords avec Senghor

Grâce notamment à ses tirailleurs, à ses goumiers et à ses spahis lors du débarquement de Provence, auquel Amadou Mahtar Mbow participe, la France est libérée. Le jeune homme décide de rester dans un Paris bouillonnant où les désirs d’indépendance se renforcent chez les étudiants africains. « Un jour, la gendarmerie est venue me signifier que je devais rentrer au Sénégal pour être démobilisé, déclarait-il dans Amadou Mahtar Mbow. Une vie, des combats (éd. Vives Voix, 2019). Je leur ai répondu : pour faire la guerre, je suis français et pour étudier, je ne le suis plus. Allez-vous faire voir ! » Il passe son baccalauréat et entre à la Sorbonne, où il s’inscrit en histoire et géographie.

Dans l’effervescence intellectuelle du Quartier latin, Amadou Mahtar Mbow s’engage dans le syndicalisme étudiant et milite pour une indépendance immédiate des colonies. Il rentre au Sénégal pour mener la lutte, s’intéresse à l’éducation, matière essentielle selon lui pour former les élites de demain. Il va consacrer quinze années de sa vie à l’enseignement.

En parallèle, il fait de la politique. Le 20 août 1960, lorsque le Sénégal proclame son indépendance, Léopold Sedar Senghor devient président de la République. Après un temps dans l’opposition, Amadou Mahtar M’bow est nommé ministre de l’éducation nationale (1966-1968), puis de la culture et de la jeunesse (1968-1970) et enfin député.

Au cours de cette période, il se heurte à Léopold Sédar Senghor, car il déplore notamment l’existence d’accords franco-sénégalais qui confèrent encore à la France une tutelle sur l’université de Dakar. « Le recteur est alors nommé par la France, rappelle le journaliste Hamidou Anne, auteur d’Amadou Mahtar Mbow. Une vie, des combats. L’ancienne puissance coloniale pouvait ainsi interférer dans le fonctionnement de l’enseignement supérieur. Contrairement à Senghor, M’bow voulait que l’université de Dakar soit une université africaine. »

Deux mandats

Le 15 novembre 1974, Amadou Mahtar Mbow est élu à l’unanimité directeur général de l’Unesco. Il devient la septième personnalité à accéder à ce poste prestigieux, le premier Noir à diriger une organisation onusienne. Il veut alors œuvrer pour un monde « plus fraternel » et s’atteler à la sauvegarde du patrimoine et évidemment de l’éducation. Sous son impulsion, les pays du Sud demandent un « rééquilibrage » des rapports dans le domaine de l’information, déplorant notamment que les grandes agences de presse soient aux mains des grandes puissances. En 1977, Amadou Mahtar Mbow crée une Commission internationale qu’il confie à l’Irlandais Sean MacBride, fondateur d’Amnesty International et Prix Nobel de la paix (1974), et dans laquelle on retrouve aussi Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde.

En 1980, Amadou Mahtar M’bow est réélu, dans un climat alourdi par la guerre froide et les tensions entre pays du Nord et pays du Sud. Avec fracas, les Etats-Unis, plus grands contributeurs de l’Unesco, décident de se retirer de l’institution onusienne, qui se voit alors amputée de 25 % de son budget. « Amadou Mahtar Mbow va très intelligemment réorganiser l’organisation et faire en sorte qu’aucun salarié ne soit licencié, se souvient Georges Kutukdjian, ancien responsable de l’éducation aux droits de l’homme et à la paix (1982-1991). C’était un homme intègre, méticuleux et juste. » Mais les tensions avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni vont lui coûter sa réélection pour un troisième mandat.

Retiré au Maroc, il revient dans le jeu politique au Sénégal. Entre 2008 et 2009, Amadou Mahtar Mbow préside les assises nationales, une vaste coalition qui s’oppose à la réélection d’Abdoulaye Wade en 2012. A Dakar, où une université porte son nom, de nombreux visiteurs lui rendaient encore visite à la fin de sa vie. Il y avait des politiciens, des instituteurs, des enseignants… Ils venaient demander au « vieux » un conseil ou obtenir son appui. Amadou Mahtar Mbow vivait au milieu des livres de son immense bibliothèque.

Read more »

Le testament de Charles

Christian Éboulé

Dans son roman Le Testament de Charles, paru aux Éditions Les Lettres Mouchetées, le 14 septembre 2024, Christian Éboulé, journaliste à TV5 Monde, plonge dans l’histoire de Charles N’Tchoréré, un soldat originaire d’Afrique subsaharienne marqué par les guerres et la colonisation. Le roman s’articule autour de quatre grands axes inspirés par la figure historique du capitaine Charles N’Tchoréré, dont le portrait est disponible dans la série Frères d’Armes. Engagé dès 1916 dans un régiment de tirailleurs, il est fait prisonnier par les Allemands en 1940 qui, malgré sa demande à être traité comme un officier et non pas comme un homme de troupe conformément aux conventions de Genève, l’abattent le 7 juin 1940. Ce roman invite à une réflexion sur la mémoire, l’existence et la dignité humaine. En tribune cette semaine pour le Groupe de recherche Achac, Christian Éboulé livre les grands axes de cet ouvrage.

Inspiré par la vie de Charles N’Tchoréré, Christian Éboulé restitue alors sous la forme d’une vaste saga-testament l’itinéraire d’un soldat originaire d’Afrique subsaharienne, un grand témoin du siècle, jusqu’à son ultime prise de liberté et son salut. Un roman essentiel sur l’existence, la place de l’individu dans l’Histoire, la mémoire et la dignité.

Un fil va se rompre, celui de Charles. Il a quitté son Afrique natale sous les bercements d’une musique coloniale annonçant à coups de trompette une civilisation étincelante. Il a bataillé à l’école pour acquérir, sous le fouet, une éducation dispensée par de rudes pères spiritains. Pour eux, le chemin qu’ils ouvraient le sortirait de la brousse des fantômes et de la nuit des légendes. Mais son grand-père, le vieil Okili, tentera de retenir le jeune homme près des oracles et à proximité du puits des rites où un monde naguère paisible se voilait soudain de nuages. Charles choisit l’uniforme, espérant, au service de la France, accomplir le parcours qui établit les réputations et les honneurs... Après avoir combattu au Gabon, au Maroc et en Syrie pour la gloire de la « Mère Patrie », il est encerclé puis prisonnier durant la Seconde Guerre mondiale à Airaines, où la Wehrmacht triomphante se fourvoie et torture. Un soldat blond s’acharne sur lui. 

Au bord du précipice, Charles revoit sa vie et, en un vertigineux sursaut, il va alors comprendre au fil du récit ce qui lui avait toujours échappé. En une ultime seconde, en emportant le lecteur dans le flot de ses souvenirs, le voici qui se réapproprie sa propre histoire et le sens d’une vie déracinée, dont le tourbillon et le chaos de l’Histoire, des guerres et de la colonisation l’avaient privé. Dans un grand souffle spirituel et romanesque qui prend la forme d’un apprentissage à rebours, Le Testament de Charles nous propose une expérience littéraire qui échappe à l’éclat des armes, aux bombardements, au vacarme et à la violence de l’Histoire. 

Le parcours d'un grand témoin du siècle, marqué par la mort, la vie et la prise de conscience, est au cœur d'un roman essentiel qui aborde des thèmes universels. L'expérience spirituelle de l'histoire et de la mémoire, qui traverse ce récit, permet une réflexion profonde sur l'existence et la dignité humaine. Le protagoniste, confronté à des épreuves qui mettent en jeu sa propre survie, se trouve confronté à des questions essentielles qui touchent chacun d'entre nous. Au fil des pages, le lecteur est invité à explorer les méandres de la conscience humaine, à découvrir les secrets de la mémoire, à questionner les fondements de l'existence, dans un voyage littéraire intense et émotionnel.

En savoir plus

La série Frères d’Armes


Tribune NL #563 | Groupe de recherche Achac

  France Bleu

De Isabelle Baudriller    Jeudi 26 septembre 2024 à 19:46
Par France Bleu Sud Lorraine

Vosges : une plainte contre X déposée après des tirs sur la photo du résistant guinéen Addi Bâ

La photo du résistant guinéen Mamadou Addi Bâ a été visée par six tirs sur un panneau commémoratif dans la forêt de La Vacheresse-et-la-Rouillie dans les Vosges. Une plainte contre X a été déposée mercredi 25 septembre pour cet acte qui remonterait à plusieurs mois.

Le panneau commémoratif se trouve dans la forêt de La Vacheresse-et-la-Rouillie

Un panneau à la mémoire d'un résistant guinéen, visée par des tirs dans la plaine des Vosges. Une plainte contre X a été déposée ce mercredi 25 septembre auprès du procureur de la République d'Epinal, notamment pour "incitation à la haine raciale" et "apologie de crime de guerre", par François-Xavier Wein, porte-parole de LFI dans les Vosges, soutenu par les militants Insoumis du secteur.

Ce panneau, installé depuis 2014 dans la forêt de La Vacheresse-et-la-Rouillie, raconte l'histoire du maquis de la Délivrance où se sont réfugiés les réfractaires du STO, le Service du travail obligatoire, pendant la Seconde Guerre mondiale. On y trouve plusieurs photos dont celle de Mamadou Addi Bâ, soldat guinéen engagé chez les Tirailleurs sénégalais en 1939, devenu résistant dans ce maquis en 1942. Torturé et fusillé par les Allemands le 18 décembre 1943, à l'âge de 27 ans.

La photo de Mamadou Addi Bâ, visée par six tirs

La photo d'Addi Bâ - et elle seule - est criblée de six balles. "Il n'y a aucun doute, c'est une personne qui a été visée parce que noire très concrètement", estime François-Xavier Wein. "Ça devient une banalisation d'agissements racistes, xénophobes qu'on ne peut pas passer sous silence. Nous pensons que d'autres personnes savaient bien avant nous et que rien n'a été fait. Ça ne peut pas être laissé sans suites. Le silence est très grave et notre action en tant que simples citoyens passe forcément par le dépôt d'une plainte."

A quand remontent ces tirs ? A plusieurs mois selon François-Xavier Wein qui a été informé vendredi 20 septembre. Plusieurs mois aussi selon le journaliste Etienne Guillermond dont la famille a accueilli Addi Bâ dans le village de Tollaincourt en 1941. Lui qui travaille depuis 20 ans sur l'histoire du résistant guinéen et a écrit en 2013 le livre "Addi Bâ, résistant des Vosges" dénonce un acte "grave et choquant" mais s'insurge contre le dépôt de plainte.

"Action inutile et contre-productive"

"Qui sont les plus imbéciles, ceux qui commettent des actes stupides ou ceux qui leur font de la pub en espérant être plus malins qu'eux ?" interroge Etienne Guillermond. "Pour moi, on ne répond à l'imbécilité que par le silence. Je considère qu'à partir d'un acte imbécile, on est en train d'assister à la fabrication d'un fait divers. Je trouve que cette action est inutile et contre-productive."

Le 18 décembre dernier, 80 ans jour pour jour après l'exécution d'Addi Bâ, la ville d'Epinal a inauguré une esplanade à son nom, rue de la Chipotte. "Les tirs, déjà vous me les apprenez", indique le maire Patrick Nardin, "comment voulez-vous que je réagisse ? C'est l'œuvre ou d'un fou ou d'une personne radicalisée. C'est un soldat venu d'Afrique en France comme des milliers d'autres. Beaucoup sont morts, Addi Bâ fait partie de ceux qui ont laissé leur vie pour que nous soyons libres aujourd'hui. Bien sûr un tel acte me révolte."

Les Insoumis de la 4e circonscription des Vosges indiquent qu'ils appelleront "prochainement à un rassemblement antiraciste en hommage à Addi Bâ".

Vosges : une plainte contre X déposée après des tirs sur la photo du résistant guinéen Addi Bâ - France Bleu

 

Des noms et des visages sur les héros de la Libération : retour sur l'exposition « Visages de la Libération » à la médiathèque Salim-Hatubou, dans le 15e arrondissement de Marseille.

Par Françoise Croset

Monday, September 16, 2024

Des noms et des visages sur les héros de la Libération

Le vernissage de « Visages de la Libération » avait lieu ce week-end à la médiathèque Salim-Hatubou, dans le 15e arrondissement. L’exposition reste visible jusqu’au 27 septembre.

Christophe Casanova / Marseille / 16/09/2024 | 15h38

Jean-Marc Coppola, adjoint à la culture de ville, et Nadia Boulainseur, la maire de secteur, étaient présents pour le vernissage. PHOTO SIRINE DESIRE

Le choix de la médiathèque Salim-Hatubou s’est imposé comme une évidence. « C’est la plus belle de Marseille et surtout, en tant qu’historien nous nous sommes dit qu’il était bien de raconter l’histoire de la Libération de la ville et de ses quartiers qui a duré du 23 au 28 août, au plus près de ce point stratégique qu’était le port de Marseille », glisse Grégoire Georges-Picot. « Il était un enjeu majeur contrairement à Notre-Dame de la Garde qui était plus un symbole. Et la clé de voûte du système se trouvait à 150 mètres de la médiathèque, sur le Plan d’Aou. »

« Soldats de la plus grande France » projeté samedi

Samedi après-midi a eu lieu en présence de Jean-Marc Coppola, adjoint (PCF) à la culture de la ville de Marseille, et Nadia Boulainseur, maire (DVG) du secteur l’inauguration de l’exposition « Visages de la Libération », organisée par le groupe Marat, association dont l’historien est membre.

« On a souhaité faire ce vernissage un jour où la médiathèque est la plus fréquentée par les habitants du quartier, il y a eu un appel d’air qui a fait que plein de gens ont découvert l’expo. »

L’exposition (La Marseillaise du 29 août 2024) met en lumière la mémoire des 556 noms affichés sur une immense toile, des anonymes, soldats kanaks, africains, maghrébins, résistants, tombés pour la libération de Marseille du 16 au 28 août 1944. Un travail de recherche dont le point de départ est les vers de Léopold Sédar Senghor dans son poème Aux tirailleurs sénégalais morts pour la France : « On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat Inconnu. Vous, mes frères obscurs, personne ne vous nomme. »

Présentée au public depuis la fin août, et prévue pour être visible jusqu’au 27 septembre avec déjà un certain nombre de visites de classe des établissements scolaires du secteur programmée, l’exposition pourrait être prolongée.

En attendant, samedi 21 septembre à l’occasion des journées du patrimoine, une projection du film Soldats de la plus grande France, réunissant des témoignages de soldats recueillis en France, au Maghreb, en Afrique noire et en Nouvelle-Calédonie lors du travail préparatoire, aura lieu dans l’auditorium de la médiathèque. Un film par ailleurs disponible sur la chaîne YouTube des bibliothèques de Marseille.

Friday, September 13, 2024

 

« Morts pour la France » : « L’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre procède à un révisionnisme historique »

Dans une tribune au « Monde », l’historien Marc André estime qu’en attribuant le titre de « Morts pour la France » à des tirailleurs sénégalais exécutés par l’armée française en 1944 l’établissement public se livre à une instrumentalisation de l’histoire à des fins politico-mémorielles.

 

Le 18 juin 2024, l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) attribuait le titre de « Morts pour la France » à six tirailleurs tués par l’armée française, le 1er décembre 1944, à Thiaroye (Sénégal). Ces soldats, après avoir combattu pour libérer la France, avaient été massacrés parmi des dizaines d’autres pour avoir exigé leur solde.

La décision, ébruitée fin juillet par Le Monde, suscitait quelques satisfactions privées – celles de descendants trouvant là une forme de reconnaissance –, mais aussi des tensions diplomatiques, le premier ministre sénégalais estimant que la France n’avait pas à « fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés » à la fin de la seconde guerre mondiale, ainsi que des interrogations chez les historiens.

Sans entrer dans les débats historiographiques et mémoriels autour du massacre (nombre de morts, lieux de sépulture, droit à la réparation, etc.), mais parce que l’obscure procédure de transformer des « morts par la France » en « Morts pour la France » nous y invite, il importe de diriger notre regard non vers ce qui est montré par le doigt – le massacre et ses enjeux aujourd’hui –, mais sur le doigt lui-même : l’ONaCVG.

La dissimulation de la réalité

Quand il attribue une mention « Mort pour la France », l’ONaCVG est dans son rôle. Né en 1935 de la fusion de trois offices dédiés originellement aux mutilés, pupilles de la Nation et combattants, cet organisme, dont le nom devient définitif en 1946, est chargé de faire jouer la solidarité nationale envers celles et ceux qui avaient été qualifiés au sortir de la Grande Guerre (1914-1918) de premiers créanciers de la nation.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « La France n’oublie rien » : Emmanuel Macron rend hommage aux combattants français et africains du débarquement de Provence  L’ONaCVG, encadré par un code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, distribue les cartes du combattant, reconnaît les veuves de guerre – ou conjoints depuis 2005 –, les pupilles de la nation et, donc, aussi, les « Morts pour la France ». Voilà les piliers de cet organisme : reconnaissance et réparation. Mais quand l’ONaCVG en arrive à dissimuler une réalité en la tordant de la sorte par le choix des mots, on croit rouvrir le dictionnaire colonial dans lequel, comme le disait Roland Barthes, « les mots [ayant] un rapport nul ou contraire à leur contenu » donnent « à un réel cynique la caution d’une morale noble » (Mythologies, 1957).

Le cas d’école des morts de la guerre d’Algérie

Les choix classificatoires de l’office débouchent, intentionnellement ou non, sur une instrumentalisation de l’histoire à des fins politico-mémorielles. Car, au-delà des mots, derrière la reconnaissance du statut « Mort pour la France », qui est toujours le fruit de négociations, se joue l’image que le pouvoir entend se donner.

Le traitement des morts de la guerre d’Algérie est un autre cas d’école : les policiers français abattus en France par les militants indépendantistes, soit parce qu’ils étaient ciblés comme tortionnaires, soit tout simplement pour ce qu’ils représentaient, ont été reconnus « Morts pour la France » grâce à une loi du 7 janvier 1959 ; des familles d’Algériens membres de la Force de police auxiliaire créée par Maurice Papon, police à qui l’on doit en partie le massacre du 17 octobre 1961, ont dû argumenter jusqu’aux années 2010 pour obtenir ce statut ; d’autres familles algériennes, comme celles d’un militaire tué alors qu’il représentait l’armée d’Afrique le 14 juillet 1958 à Paris, ou d’un capitaine à la retraite exécuté en 1959 pour ses engagements profrançais, ont vu leurs demandes rejetées.

Instruisant les dossiers, l’ONaCVG fabrique ses archives dans lesquelles se trouvent bon nombre de « Morts par la France ». Toutefois, celles-ci sont difficilement accessibles du fait d’un réseau devenu labyrinthique. Si chaque département – et des ambassades en Afrique – possède une antenne de l’office, les versements aux archives n’obéissent à aucune règle claire. Depuis la suppression, en 2013, des directions interdépartementales des anciens combattants, les dossiers ont été versés au service des pensions de La Rochelle, mais l’accès est aléatoire. Les victimes des conflits contemporains ont leur division « archives » à Caen, bien qu’aucune centralisation de la collecte ne semble effectuée.

L’ONaCVG diffuse sa vision de l’histoire

Le sentiment de dossiers maintenus à l’écart des yeux de chercheurs quand ils n’ont pas été perdus ou détruits, dans le cas de Thiaroye ou d’autres, est légitime et il n’est pas besoin d’avoir la mémoire longue pour se rappeler que le secrétariat d’Etat aux anciens combattants et victimes de guerre – rattaché au ministère des armées et dont dépend l’ONaCVG – a dissimulé pendant dix ans le fichier juif créé sous l’Occupation.

L’ONaCVG bâtit aujourd’hui une politique mémorielle au carrefour de l’histoire, du patrimoine, de la mémoire et des archives. Il ne contrôle pas seulement l’accès à son propre passé, il diffuse sa vision de l’histoire. Pilotant les hauts lieux de la mémoire nationale, il définit ce qui peut être montré in situ ; tourné vers le monde scolaire, il invite des représentants d’associations présentes dans son conseil d’administration ou des témoins chevronnés à répéter leurs récits dans les classes, favorisant l’établissement d’une doxa au détriment de la complexité historique.

Soucieux de publicité quand il s’agit de promouvoir ses actions sociales – les Bleuets de France cousus sur les maillots d’équipes professionnelles de football en soutien aux victimes de guerre ou de terrorisme –, l’ONaCVG reste discret quand il attribue des mentions « Mort pour la France ». Cela est problématique dans le cas de Thiaroye, dans la mesure où, ici comme ailleurs, un révisionnisme historique entend valider les mensonges d’Etat. Une chose est sûre : une politique discrétionnaire débouche rarement sur une solidarité nationale ou internationale.


Marc André (maître de conférences à l’université de Rouen, chercheur à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP))


« Morts pour la France » : « L’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre procède à un révisionnisme historique » (lemonde.fr)


 

Saint-Vincent-de-Paul : au camp de Buglose, le chemin des Tirailleurs sénégalais a été inauguré

Tout à gauche, Régine et Pierre et les porte-drapeaux après l’inauguration du chemin. © Crédit photo : Janette Lamarque

Par Janette Lamarque    Publié le 30/08/2024 à 16h45.    Mis à jour le 06/09/2024 à 11h29.

En ces temps de 80e anniversaire de la Libération, l’association Mémoire du camp de prisonniers de Buglose (MCPB40) a honoré ce 24 août, ces soldats coloniaux que l’armée française a incorporés dès 1940, soit 600 000 hommes originaires du Maghreb, Afrique subsaharienne, Madagascar pour l’essentiel. Le site de Buglose, de la commune de Saint-Vincent-de-Paul, a été mis à jour par la tempête Klaus et a été le seul camp des Landes réhabilité à l’identique après un travail de Titan mené par une poignée de bénévoles entourant Pierre et Régine. Le camp a abrité des prisonniers coloniaux puis – de 1945 à 1948 – des prisonniers allemands qui avaient créé ledit chemin, accès unique pour la Croix-Rouge, débouchant entre Buglose et Laluque, au-delà de l’entrée actuelle (drapeau tricolore).

17 000 tirailleurs sénégalais tombés pour la France

Ce 24 août, en présence d’une vingtaine de porte-drapeaux, l’événement d’une grande dignité a reçu le label « Mission Libération de l’État ». Il a concerné l’inauguration de ce chemin baptisé désormais chemin des Tirailleurs sénégalais, sachant que 17 000 d’entre eux sont tombés pour la France. Après le rappel succinct du passé par la présidente de MCPB40, le maire et vice-président du Conseil départemental, Henri Bedat, a dévoilé la stèle. Il a d’abord rappelé que les 11 hectares du site avaient été déclassés par l’ONF en 2011 avant d’assurer que l’intérêt qui lui avait été porté par quelques passionnés « forçait l’admiration ». « La commune s’associe désormais côté investissements pour ce camp perdu au milieu des pins, pan méconnu de l’engagement et du sacrifice », a-t-il ajouté.

En écho et d’un même cœur, le colonel François Devouge, nouveau délégué militaire départemental, et Julien Bazus, maire de Saint-Paul-lès-Dax et élu régional Nouvelle-Aquitaine, ont adopté des mots forts pour « ce lieu sacré », mettant en exergue « la résilience humaine de ces prisonniers coloniaux ignorés de tous. Que leurs sacrifices ne soient jamais oubliés. Sans relâche défendons la liberté, l’égalité, la justice dans un monde de paix ». Yan Cozian, sonneur de boa, a joué alors « un morceau d’espoir » d’une grande douceur. L’hymne national et le chant des cigales ont posé un point d’orgue à la cérémonie à beaucoup d’émotion.

Tels ces scouts ce 27 août, telles les nombreuses écoles landaises tout au long de l’année scolaire et autres groupes, visite du camp route de Laluque à Buglose (baraque historique) - 40 990 Saint-Vincent de Paul : sur rendez-vous (appeler quelques jours avant) 05 58 89 91 03 ou 06 31 54 27 46 courriel mcpb40@orange.fr Un ouvrage « Des Barbelés à Buglose » est en vente directement auprès de l’association.

Saint-Vincent-de-Paul : au camp de Buglose, le chemin des Tirailleurs sénégalais a été inauguré (sudouest.fr)




 
Gironde : une cérémonie émouvante à la mémoire des tirailleurs s’est déroulée à La Teste-de-Buch

Les noms des soldats étrangers morts pour la France sont à jamais gravés sur les stèles de la nécropole de Natus. © Crédit photo : Guillaume Prêtet

Par Guillaume Prêtet    Publié le 26/08/2024 à 12h38.    Mis à jour le 26/08/2024 à 18h04.

Vendredi 23 août avait lieu la traditionnelle cérémonie d’hommage aux tirailleurs

Chaque année, le 23 août à la nécropole nationale du Natus à La Teste-de-Buch, un hommage est rendu aux soldats d’Afrique subsaharienne morts pour la France. Ce sont une centaine de personnes qui ont participé à cette cérémonie.

Située au bord de la piste 214 d’où est parti l’incendie dévastateur de 2022, la nécropole est nichée sous les pins sur un petit promontoire. Elle abrite un monument funéraire et cinq stèles en métal sur lesquelles sont inscrits les noms des 956 tirailleurs sénégalais et malgaches, des 11 soldats russes et des deux Français morts dans l’ancien camp du Courneau. Leur décès est lié aux maladies contractées à cause de l’insalubrité de leur casernement, notamment au cours de l’hiver 1916-1917.

La date de commémoration a été choisie en référence à la libération de la ville de Toulon le 23 août 1944 par le 6ᵉ régiment de ce que l’on appelait les tirailleurs sénégalais et qui en fait comprenait aussi des soldats du Mali, Bénin, Côte d’Ivoire, Niger, Mauritanie et Guinée.

Devoir de mémoire

Lors de son intervention, Joël Lecloitre, le président de l’Union nationale des combattants de Gironde, a insisté sur « leur imbrication dans l’histoire de France » et sur « le lien profond entre ses hommes et la République ». Gérard Sagnes, premier adjoint au maire, a poursuivi en évoquant « le sacrifice de ces soldats » qui « furent de toutes ces guerres et de tous ces conflits pour servir les intérêts et la grandeur de la France ».

C’est aussi l’idée développée par le Consul général du Sénégal, Abdoulaye Diallo, qui a souligné les valeurs portées par ces hommes qui ont contribué à la libération de la France, avant de transmettre un message de remerciement du président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, « à ceux qui ont réalisé cette nécropole ».

Forte émotion

Dans son discours, le sous-préfet Ronan Léaustic a soutenu un plaidoyer en faveur de l’altérité. Guillaume Prêtet 

Pour terminer, le sous-préfet Ronan Léaustic a prononcé un discours très émouvant rappelant celui qu’il avait tenu la première fois ici après son entrée en fonction et qu’il se retrouvait ainsi au même endroit avant de quitter son poste pour rejoindre la Mayenne. Il s’est également remémoré les incendies de 2022 et ce site menacé par les flammes. « Il fallait éviter que les morts ne meurent une seconde fois » et ce fut le cas grâce « au combat acharné des pompiers » a-t-il expliqué. C’est aussi en ce lieu qu’il a pris la première décision d’évacuation de la population, car pendant un temps le PC des pompiers était situé à proximité de la nécropole.

Puis, revenant au sacrifice des tirailleurs sénégalais, il a évoqué « ceux qui n’ont jamais failli et ont combattu pour la France » avant d’exprimer « la gratitude de la Nation toute entière envers ses valeureux soldats » et d’invoquer « une mémoire partagée entre la France et l’Afrique ». Ce devoir de mémoire qui permet « de protéger son avenir ». Alors que son émotion était de plus en plus palpable, il a terminé par un plaidoyer en faveur des valeurs de la République et par cette sentence : « De nos différences, faisons une force. »

Gironde : une cérémonie émouvante à la mémoire des tirailleurs s’est déroulée à La Teste-de-Buch (sudouest.fr)