Sur la trace des combattants étrangers tombés dans le maquis du Vercors
Seconde Guerre mondiale France
En juillet 1944, l’armée allemande lance une violente
offensive pour démanteler le maquis du Vercors. Parmi les résistants, de
nombreux étrangers participent à ces combats. Historiens et passionnés tentent
de retrouver les traces de l’incroyable parcours de ces hommes nés de
l'autre côté de la Méditerranée et qui ont marqué l’histoire de
la Résistance sur les plateaux du Vercors. Reportage.
Publié le : 15/04/2024 - 10:38 Par : David GORMEZANO
| Des tirailleurs "sénégalais" dans le maquis du Vercors, entre juin et septembre 1944. © DR |
Les commémorations des 80 ans de la libération de la France seront
lancées mardi 16 avril par Emmanuel
Macron à Vassieux-en-Vercors. Dans ce village de la Drôme, quasiment
rasé en juillet 1944 lors des combats entre résistants et l’armée allemande, le
chef de l’État s'attardera peut-être sur les tombes d’Abdesselam Ben
Ahmed, d'Ahmed Ben Ouadoudi ou de Samba N’dour. Ces trois combattants étrangers
reposent dans la nécropole qui abrite les tombes de 187 maquisards
et civils morts sur le plateau du Vercors en juillet 1944.
Les deux premiers étaient ouvriers sur un chantier de la
région, le dernier était lui tirailleur sénégalais. Ces trois
"coloniaux", selon le vocabulaire de l'époque, ont contribué à la
légende du maquis du Vercors. Pourtant, connaître le parcours qui les a menés à
prendre les armes sur les plateaux du Vercors reste une démarche semée
d'embûches.
| La tombe d'Abdesselem Ben Ahmed à la nécropole de Vassieux-en-Vercors. © David Gormezano - France 24 |
"Leur mémoire ne s'est pas transmise", estime
Didier Croibier Muscat. "Il existe parfois des traces dans un témoignage,
dans un bouquin ou dans les revues de notre association mais ça reste
complètement aléatoire. Ça n'a jamais fait l'objet d'un travail de recherche
approfondi", explique le secrétaire général de l'Association
mémorielle Pionniers
du Vercors.
L’apport le plus visible des résistants étrangers dans le
maquis du Vercors est celui d’un groupe de tirailleurs sénégalais présent entre
juin et septembre 1944. "C'étaient des gens qui étaient cantonnés à la
caserne de la Doua, à Villeurbanne, et qui travaillaient au port Édouard
Herriot de Lyon,
encadrés par des soldats allemands. Ils n’avaient pas été faits prisonniers en
1940 au moment des combats" explique Didier Croibier Muscat.
"Ce sont des responsables du maquis qui ont l'idée
d’aller chercher ces fameux 52 ou 53 tirailleurs sénégalais fin juin 1944 pour
les ramener dans le Vercors afin qu'ils participent en tant qu'unité constituée
aux combats. Ce qu'ils ont fait", ajoute Julien Guillon, historien et
référent scientifique du Mémorial de la Résistance de
Vassieux-en-Vercors.
| Prise d'arme d'un groupe de tirailleurs sénégalais sous le commandement d'Henri Zeller, responsable militaire FFI pour le sud-est de la France. © DR |
La présence de ces hommes noirs sur ces plateaux de moyenne
montagne, de juin à septembre 1944, retient l’attention. De nombreuses
photographies de ces Africains du maquis existent, notamment
lorsqu’ils défilent dans la ville de Romans-sur-Isère, le 8 septembre
1944, après avoir participé aux combats qui ont libéré la ville quelques jours
plus tôt.
| Deux tirailleurs dans la forêt de Lente, Vercors. © DR |
| Un tirailleur dans la forêt de Lente, massif du Vercors. © DR |
| Deux tirailleurs dans la forêt de Lente, Vercors. © DR |
| Exécution dans les rues de Romans-sur-Isère fin aout 1944. Des tirailleurs font partie du peloton d'exécution. © DR |
| Un tirailleur et une petite fille lors de la libération de Romans-sur-Isère, fin aout 1944. © DR |
| Des tirailleurs lors de la libération de Romans-sur-Isère, fin aout 1944. © DR |
| Défilé des tirailleurs du maquis du Vercors qui ont aussi participé aux combats pour la libération de Lyon début septembre 1944. © DR |
"Quand vous avez 52 tirailleurs sénégalais dans le Vercors, un truc pareil c’est totalement inhabituel, donc on en a parlé. Mais du point de vue de l'historien, on en a très mal parlé parce qu'on n'a pas cherché d'où ils venaient. On sait seulement qu’ils ont combattu sur le plateau, puis qu'ils vont suivre les unités reconstituées du 11ᵉ régiment de cuirassiers avant d’être démobilisés", précise Didier Croibier Muscat.
Des résistants oubliés ?
"On n'a pas ou peu étudié l’apport des coloniaux et des
étrangers à la Résistance. Ce n'est pas une volonté discriminatoire, voire
raciste, voire d'exclusion. À mon avis, ce n’est pas du tout le problème. La
perte de mémoire vis-à-vis de populations étrangères découle à mon avis de
l’absence de demande sociale sur cette question pendant des années",
ajoute-t-il.
Julien Guillon avance une explication similaire.
"L'historiographie a d'abord privilégié la geste maquisarde, les combats,
les morts. Après, on a commencé à s'interroger réellement sur ceux qui ont
combattu. D'abord les chefs, puis ceux qui étaient en dessous. Pourquoi est-on
entré en résistance alors qu'on est né en Algérie ou
à Madagascar ?
Il y a eu des Malgaches dans le Vercors… Ce sont des parcours de vie qui sont
extrêmement compliqués à étudier, d’autant plus qu’on n'a pas retrouvé tous les
noms".
Pour Kamel Mouellef, connaître et faire connaître ces
destins est devenu une passion, voire une obsession. Né en France de parents
algériens arrivés dans le pays en 1936, ce directeur commercial à la retraite
parcourt les archives pour établir des portraits de "Résistants
oubliés". Il en a fait une BD, publiée en 2015.
"J'ai découvert le Vercors par le
parcours d'Ahmed Benabid. C’était un médecin né en Algérie en 1911 et
formé dans les années 1930 à la faculté de médecine de Grenoble.
Il rejoint la Résistance dans le Vercors en 1942 avec le grade de
capitaine et devient officier de liaison. En juillet 1944, lors de l’offensive
allemande, il soigne les très nombreux blessés dans un hôpital de campagne
installé dans la grotte de la Luire où les Nazis achevèrent 17 résistants. Bien
plus tard, en 1959, il rejoint le maquis du FLN en Kabylie où
il officie en tant que médecin avant de revenir à Grenoble. J’ai pu réunir ces
éléments par l’intermédiaire de son fils Alim Louis Benabid, qui est
neurochirurgien et membre de l'académie des sciences. J’ai aussi récolté des
témoignages de familles du Vercors qui se souviennent que ce médecin montait
dès que des maquisards étaient blessés".
Transmettre la mémoire des étrangers dans
la Résistance
Après cette découverte, Kamel Mouellef lève une partie du
voile sur le parcours d’Abdesselam Ben Ahmed, qui repose dans l’une
des deux tombes musulmanes de la nécropole de Vassieux. Grâce aux Pionniers du
Vercors, il peut consulter sa fiche et découvre que comme lui, une vingtaine
d’ouvriers avait décidé de monter au maquis pour en découdre avec les
Allemands.
"Sur la fiche d’Abdesselam, il y a une mention 'armée
six ans'. Donc c'est quelqu'un qui probablement a été militaire. Il travaillait
sur un chantier de construction d’un barrage sur le Drac, dans l’Isère. Là, un
Monsieur Pisani, qui travaillait sur ce barrage et qui était résistant, a
convaincu un groupe d’ouvriers de rejoindre la Résistance et a
organisé leur transfert. Il y avait des Marocains, des Tunisiens et des
Algériens. J’ai pu en identifier 22", précise Didier Croibier Muscat.
Dans sa BD, Kamel décrit l’héroïsme d’Abdelsalm, exécuté fin
juillet 1944, lorsque les troupes allemandes achèvent les blessés de la grotte
de la Luire.
| Extrait de la BD de Kamel Mouellef, Olivier Jouvray et Baptiste Payen aux éditions Glénat. © DR |
Arrière-petit-fils d’un tirailleur algérien mort le 20
juillet 1918 vers Soissons, Kamel Mouellef estime que l’histoire de ces héros
oubliés doit absolument être transmise aux jeunes issus de l’immigration.
"C’est important que l’on parle de ces gens-là. C'est
rappeler à Marine Le Pen qui, du matin au soir, nous montre du
doigt, que ces gens-là sont morts pour la France, alors qu'ils n'étaient pas
français. Il y avait des Algériens dans la Résistance française. Ils
se sont battus, ils ont commis des dizaines d'attentats contre des officiers
allemands… Pourquoi ne parle-t-on jamais de ces hommes ? Je ne parle pas de les
faire entrer au Panthéon, je parle de reconnaissance".
| Kamel Mouellef à Grenoble, le 7 avril 2024. © David Gormezano - France 24 |
Lors d’une intervention dans un collège, le retraité
hyperactif, qui fait tourner un peu partout en France une exposition tirée de
son travail, estime que "Ies jeunes d'aujourd'hui, il faut aller les voir,
il faut leur parler, il faut aussi les valoriser du matin au soir. J’entends
des gamins me dire "on nous prend pour des voleurs, des migrants, mais
nous sommes des gens qui se sont battus pour la France".
Sur le plateau du Vercors, Julien Guillon, l’historien,
tente de poursuivre les difficiles investigations pour mettre des noms et des
visages sur les étrangers résistants morts dans les maquis. "Il y a de
très fortes chances qu'il y ait des descendants, de l'autre côté de la
Méditerranée, de ces combattants qui sont tombés évidemment avec les honneurs
ici, sur le territoire du Vercors. Qu’ils ne sachent pas où reposent leurs
ancêtres, qu’ils ne sachent pas ce qu’ils ont fait pendant la guerre, je trouve
ça terrible".
| Julien Guillon, historien et référent scientifique du Mémorial de la Résistance à Vassieux-en-Vercors, le 8 avril 2024. © David Gormezano - France 24 |
Sur
la trace des combattants étrangers tombés dans le maquis du Vercors - France 24

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