Hommes, femmes, militaires, paysans, Français, Africains : qui étaient les maquisards du Vercors ?
Récit - France
Fruit de dix années d'un travail de recherche
acharné, le dictionnaire biographique "Maquisards du Vercors" retrace
le parcours de milliers d'hommes et de femmes qui se sont
engagés dans la Résistance contre l'occupant nazi. Dans cet ouvrage
unique et inédit figure l'histoire de plus de 80 combattants
africains.
Publié le : 25/10/2025 - 11:57 Par : Stéphanie TROUILLARD
| Des portraits de résistants et résistantes du maquis du Vercors. Deux soldats africains inconnus, Charles Goldbaum, Rosine Bernheim, Léa Blain et Pierre Bacus. © Association des Pionniers du Vercors |
À l’entrée du musée de la Résistance de Vassieux-en-Vercors, dans la
Drôme, une grande fresque accueille les visiteurs. Ils peuvent y contempler les
multiples visages de celles et ceux qui se sont dressés face à l’occupant
allemand dans le maquis du Vercors. Des hommes, des femmes, des militaires, des
paysans, des Français, des Africains.
| Une partie de la fresque à l'entrée du Musée de la Résistance de Vassieux-en-Vercors montrant les différents maquisards. © Musée de la Résistance de Vassieux-en-Vercors |
Quatre-vingts ans après cette page héroïque de la
résistance en France, un ouvrage restitue leurs noms à ces combattants
anonymes. Sur plus de 1 000 pages, les identités et parcours de près de
5 800 maquisards sont retracés. Auteur de ce monumental "Maquisards du Vercors, dictionnaire biographique" (Presses
universitaires de Grenoble), Maurice Bleicher s’est donné pour mission de
dresser un inventaire aussi complet que possible des personnes ayant appartenu
à ce maquis décimé à l’été 1944 par l’armée allemande.
"J’ai commencé à travailler en 2012 sur l’historique de deux unités du maquis du Vercors, c’est-à-dire à peu près 500 hommes", raconte le président délégué de l'Association nationale des pionniers et combattants volontaires du maquis du Vercors, familles et amis. "Ensuite, c’est la curiosité qui m’a poussé à continuer. Je me suis demandé : 'Qui étaient les autres ? Qu’avaient-ils fait ? D’où venaient-ils ?'"
Un fichier pour point de départ
Fils de maquisard, Maurice Bleicher a ainsi entamé un long
chemin de pèlerin. Pendant dix ans, il a établi nom après nom la liste de
ceux qui ont rejoint ce maquis formé dès la fin de l’année 1942 dans ce massif
montagneux de 135 000 hectares.
Pour assembler ce puzzle, il a pu s’appuyer sur des
documents établis durant la guerre. "Lorsque le maquis du Vercors a été
mobilisé le 9 juin 1944 suite au débarquement en Normandie, les effectifs
sont passés de 400 à 4 000 personnes. Le maquis va alors se militariser.
L’état-major [de la Résistance] a eu alors besoin de connaitre le nombre exact
d’hommes pour les équiper, les armer, les nourrir, les répartir en unité et
leur donner des missions. Un fichier a donc été constitué", constate-t-il.
| Raymond Anne, né en 1922 dans le Calvados, est arrêté pour propagande anti-allemande. Envoyé dans un chantier de jeunesse, il déserte et rejoint le maquis du Vercors. Il est tué au combat à Vassieux-en-Vercors le 21 juillet 1944. Son corps est exposé sous l'Arc de triomphe le 11 novembre 1945, avant d'être inhumé au Mont-Valérien, où il représente les maquisards tombés au combat. © Musée de la Résistance de Vassieux-en-Vercors |
Enfoui lors de l’attaque du maquis par les Allemands en
juillet 1944, le document a été retrouvé à la Libération. Il a permis d’établir
des soldes, d'attribuer des certificats à ceux qui avaient participé aux
combats ou de verser des indemnisations aux familles des plus de 600 tués.
"Ce fichier est aujourd’hui conservé par mon
association. Il a été enrichi au fur et à mesure par des courriers, des
demandes d’attestations, des décorations, mais je me suis aperçu qu’il est très
lacunaire. Il manque ceux qui n’ont plus donné signe de vie après la guerre, ou
ceux qui ont fait un passage dans le maquis entre 1943 et 1944, avant la
mobilisation", explique l’auteur du dictionnaire.
| Originaire de Francfort, Max Eisemann a été déchu de sa nationalité allemande par le régime nazi en 1940. Il trouve refuge en France et s'engage dans la Légion étrangère. Démobilisé alors qu'il se trouve au Maroc, il est interné dans une unité de travailleurs. Libéré après le débarquement allié en Afrique du Nord, il retourne en métropole et rejoint le maquis du Vercors le 6 février 1944. Il est blessé par balles lors des combats. À la Libération, il s'engage dans l'armée française et participe aux campagnes des Vosges et d'Alsace au cours desquelles il est de nouveau blessé. © Association des Pionniers du Vercors |
Faire connaître tous les maquisards sans distinction
Pour compléter au maximum ces fiches, Maurice Bleicher a
donc consulté d’autres sources aux Archives
nationales, au service
historique de la Défense, aux Archives départementales ou encore au sein
des familles. Un véritable travail de fourmi : "Pour certains j’ai
une ligne et pour d’autres j’ai trois pages. Il y avait aussi parfois des
doublons pour des gens qui étaient mentionnés à la fois sous leur vrai nom et
sous un pseudo."
| Née en 1922 en Isère, Léa Blain entre dans la Résistance en mai 1943 en assurant des liaisons et en aidant les réfractaires du STO à se cacher. Elle rejoint le maquis du Vercors et devient agente de liaison. Lors de l'attaque allemande, elle se réfugiée avec d'autres camarades à la grotte de Fées. En cherchant à rejoindre la plaine avec un groupe de camarades, ils sont surpris par une patrouille ennemie le 1er août 1944 près de Villard-de-Lans. Elle blesse deux Allemands avant d'être tuée. © Association des Pionniers du Vercors |
Emile Boissieux. Charles Escoffier. Vicente Frego. Rose
Jarrand. Louise Martin. Paul Moisson. Léon Platroz. Krystyna Skarbek. Henri
Ullmann. Autant de noms que d’histoires : "Pour les gens qui
s’intéressent au maquis, il y a des figures bien connues, mais l’idée est de
faire connaître les maquisards sans distinction. C’est un classement
alphabétique."
Même s’il ne fait pas de différence entre les combattants,
le dictionnaire biographique permet d’établir certaines données statistiques et
sociologiques. Sur les près de 5 800 maquisards, une centaine sont des
femmes. Des résistantes armées, mais aussi des infirmières ou des hôtelières et
des restauratrices qui ont apporté un soutien régulier en soignant, hébergeant
ou nourrissant les membres du maquis.
Ces combattants sont natifs de 89 départements français,
mais aussi de 33 pays étrangers, ainsi que de 16 colonies. "On compte
30 Nord-Africains et 52 Subsahariens", détaille Maurice Bleicher.
"Cela a été spécifiquement compliqué de bien les identifier,
essentiellement pour des problématiques d’orthographe. Leurs noms apparaissent
dans le fichier d’origine, mais ils ont été retranscrits de façon
phonétique."
| Des membres du groupe opérationnel américain Justine parachuté dans le Vercors donnent des instructions aux tirailleurs sénégalais de la Résistance sur l'emploi d'un bazooka. © Photographie tirée du film "Au coeur de l'orage". Musée de la Résistance de Vassieux-en-Vercors |
Les tirailleurs sénégalais du Vercors
Malgré ces difficultés, ce spécialiste du Vercors a pu
retrouver les fiches militaires de la moitié d’entre eux et retracer pas à pas
leurs parcours : "Les Nord-Africains travaillaient sur la
construction d’un barrage dans l’Isère. L’un d’entre eux était proche de la
Résistance et a convaincu les autres de rejoindre le maquis. Il y avait des
Tunisiens, des Marocains et des Algériens."
Mohamed Ben Hassen, originaire de Marrakech, entre ainsi
dans le maquis le 7 juin 1944 et est affecté au camp C16. À la Libération,
il s’engage dans le 11e régiment de cuirassiers. Mohamed Tahar,
né à Constantine, rejoint aussi le camp C16 le 13 juin 1944, mais le reste
de son itinéraire n’est pas connu.
Le destin d’un groupe de tirailleurs sénégalais est en revanche plus
documenté, grâce notamment aux travaux d’André Bouisson, auteur du livre "Les Sénégalais du Vercors", (éditions du Net). Fait
prisonniers en 1940, ces soldats africains ont ensuite été libérés, puis
affectés à la caserne de la Doua à Villeurbanne. Encadrés par des soldats
allemands, ils devaient effectuer des travaux divers dans la région lyonnaise.
"La Résistance a décidé de les approcher et de monter une opération d’exfiltration clandestine. Ils ont été amenés et intégrés dans le maquis du Vercors, où ils ont formé deux sections", raconte Maurice Bleicher. "Ils avaient une belle prestance, car eux avaient des uniformes. Au départ, ils ont été employés à des missions de surveillance de dépôt d’armement ou à des piquets d’honneur, puis lorsque le maquis a été attaqué, ils ont participé aux combats."
| Les tirailleurs sénégalais rendent les honneurs au colonel Zeller à Saint-Agnan-en-Vercors en juillet 1944. © Musée de la Résistance de Vassieux-en-Vercors |
Le plus célèbre de ces hommes s’appelle Samba N’Dour, le
seul à avoir été tué. Dans sa fiche, il est indiqué qu’il est né en 1910 à
Diaklé, au Sénégal, et qu’il était cultivateur. Blessé lors de la libération de
la ville de Romans le 22 août, il meurt deux jours plus tard de ses
blessures. Sa citation à l’ordre de l’armée précise qu’il a "continué à se
battre au milieu des rafales de mitrailleuses ennemies".
Ses camarades s’appellent Bilaly Adama, Sene Diagane, Kinda Diallo ou encore Gilbert Sa Traore. "Après la libération de Romans, ils sont entrés dans Lyon le 3 septembre. Ils ont ensuite été intégrés au 11e régiment de cuirassiers, qui a poursuivi les combats jusqu’au Doubs. Mais vers la fin septembre, ce qui correspond à la période de blanchiment des troupes, ils ont été ramenés à l’arrière, dans le sud de la France, dans l’attente de leur rapatriement", poursuit l’auteur. Cinq ans après le début de la guerre, ils sont rentrés dans leur pays d’origine, au début de l’année 1945. "Dans les années 1970, un ancien du maquis qui travaillait en Afrique a été mandaté pour essayer de les retrouver, mais sans succès", ajoute-t-il.
Tous unis
Maurice Bleicher a pu mettre la main sur 2 000
portraits de maquisards du Vercors, mais pour ces tirailleurs, la mission s’est
révélée impossible : "Il y a quelques photos de groupes, mais elles
ne sont pas légendées. On ne peut pas les identifier formellement." Même
si leurs visages demeurent inconnus, le maquis du Vercors ne les a jamais
oubliés. Une plaque leur rend notamment hommage à Romans-sur-Isère.
Dans le dictionnaire, ils sont inscrits au même rang que
leurs frères et sœurs d’armes. "Peu importe leur statut, leurs croyances,
ils se sont tous unis au même endroit, au même moment, pour la même cause,
c’est-à-dire libérer le pays et restaurer ces valeurs républicaines et
démocratiques", insiste Maurice Bleicher.
L’histoire du maquis du Vercors a été bien étudiée par les
historiens, mais pour son auteur, cet ouvrage apporte une autre
dimension : "Ce n’est pas un énième récit des combats. C’est une
approche complémentaire et inédite, à taille humaine."

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