Dans sa petite ville sénégalaise, le tirailleur Yoro Diao savoure son retour
L’un des derniers soldats du corps d’armée coloniale a obtenu de Paris de pouvoir vivre au Sénégal à plein temps sans perdre sa pension d’ancien combattant obtenue de longue lutte.
Le Monde avec AFP
Publié
le 29 mai 2023 à 12h49
L’ancien tirailleur sénégalais Yoro Diao, 95 ans, le 17 mai 2023 à Kaoloack. CARMEN ABD ALI / AFP
Élégamment vêtu d’un caftan blanc
immaculé, un bonnet carré assorti sur la tête, le tirailleur Yoro Diao,
95 ans, pose tout sourire près de son arrière-petit-fils dont il vient
d’officier le baptême musulman dans la petite ville sénégalaise de Passy. « C’est
une joie immense. J’aurais jamais pensé être présent ici, à cet âge-là, près de
tous mes petits-enfants », jubile-t-il, les yeux pétillants.
Est-ce son optimisme qui lui donne
cette énergie ? Presque un siècle de vie, et le voici qui gambade, d’une
pièce à l’autre, volubile et radieux, intarissable. Ancien soldat de l’armée
française en Indochine et en Algérie, Yoro Diao est rentré définitivement au
Sénégal le 28 avril, grâce à une mesure dérogatoire de Paris qui lui
permet, avec quelques-uns de ses pairs, de vivre en permanence dans son pays
d’origine, sans perdre son allocation minimum vieillesse de 950 euros par
mois.
« Merci à la France du fond du
cœur », dit-il, pas rancunier contre l’ancienne puissance
coloniale pour qui il a pris tous les risques et qui, volontiers accusée de
manquer de reconnaissance envers ces soldats africains, lui a donné la
possibilité du retour au soir de sa vie. « Quand vous rentrez chez
vous, que vous avez vos enfants, vos petits enfants, que veut le
peuple ? », rayonne-t-il, entouré de sa descendance nombreuse,
qui le traite comme un modèle, et dont il assure en partie la subsistance.
« Un exemple »
Sa famille est réunie ce jour-là pour
célébrer la naissance de Mohamed, né deux jours après le retour de Yoro Diao.
Dans la cour principale, les femmes, enveloppées de tuniques en wax aux
couleurs vives, coupent les légumes et préparent le riz, protégées du soleil
par une bâche. Le mouton, immolé pour l’occasion, mijote dans de grandes
marmites chauffées au bois.
La vie se concentre dans l’enceinte du
domicile. A l’extérieur, tout est désert. La température avoisine 40° C.
De temps à autre, une charrette passe dans la rue attenante à la maison, que le
maire a décidé de rebaptiser au nom de Yoro Diao. « Cet ancien
tirailleur est un exemple pour nous. Nous sommes très contents de son
retour », confie Khalifa Ababacar Samb, 30 ans, venu faire une
course chez le boutiquier d’en face.
Passy est une petite ville du Sine
Saloum, non loin de la frontière gambienne, qui vit principalement de
l’agriculture et de l’élevage. C’est là que M. Diao a décidé d’élire domicile,
loin de son foyer de Bondy, en région parisienne, où il vivait dans un studio
de 15 mètres carrés.
Depuis qu’il est rentré, entre les
célébrations et hommages, M. Diao dit se reposer, se promener, faire « des
bains de lézard » au soleil. Parfois, il va jusqu’à ses champs de riz
et de maïs. Assis sur une chaise, il raconte longuement son parcours, sa fierté
d’avoir rejoint l’un des meilleurs régiments des tirailleurs sénégalais, ses
souvenirs en tant que soignant en Indochine et en Algérie dans les années 1950,
l’esprit de camaraderie qui y régnait entre Français et Africains.
S’il a un profond respect pour la France, son armée et ses valeurs, il regrette les épreuves que lui et les autres tirailleurs ont affrontées pour obtenir les mêmes droits que leurs homologues français. « Pour toucher nos droits, on nous demandait des certificats qu’il était impossible à avoir. Et les Français le savaient bien », dit-il.
« Mieux
vaut tard que jamais »
La France n’a levé qu’en 2006 les
mesures de gel qui bloquaient les pensions des anciens combattants coloniaux,
contrairement à celles des anciens combattants français qui étaient
revalorisées. Ils ont obtenu la nationalité française en 2017.
Début 2023, après la sortie du film Tirailleurs,
le gouvernement français a annoncé la mesure qui leur permet de toucher leur
allocation en vivant dans leur pays d’origine. Après le retour de neuf d’entre
eux fin avril, il reste encore en France 28 tirailleurs, tous d’origine
sénégalaise, dont plusieurs sont susceptibles de bientôt rentrer
définitivement.
Ces
victoires vers l’égalité, les anciens combattants africains les doivent en
grande partie à Aïssata Seck, 43 ans, petite-fille d’un tirailleur et
présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais,
« choquée » par leurs conditions de vie et les expériences
souvent « humiliantes » dans leurs démarches. « Mieux
vaut tard que jamais », déclare Samba Diao, fils aîné de Yoro, qui se
dit « émerveillé » de voir revenir son père et rêve que les
familles des tirailleurs obtiennent aussi la nationalité française.
Assis
au milieu des siens, Yoro Diao savoure l’instant. Les griots – caste de
musiciens et poètes ambulants en Afrique de l’Ouest – tournent autour de lui et
chantent ses louanges. Le festin peut commencer.
Le
Monde avec AFP
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