À la mémoire des tirailleurs tués à Jeugny et Javernant
À la mémoire des tirailleurs tués à Jeugny et Javernant
Les deux communes
se sont associées pour rendre hommage, samedi, aux soldats « indigènes » tués
en juin 1940 (douze à Jeugny, un à Javernant).
Une place en leur
honneur sera inaugurée à Jeugny.
Stéphanie Munier (avec Andre Dolat) Journaliste
Comment s'appelaient-ils ? D'où venaient-ils ? Avaient-ils seulement imaginé qu'ils mourraient loin des plaines ocres ou des rives des Trois Volta qui les avaient - peut-être - vu naître ? À ces questions, encore aujourd'hui, il y a très peu de réponses. Mais faisant fi de ces incertitudes, les municipalités de Jeugny et Javernant ont décidé de rendre hommage aux treize soldats des troupes indigènes tuées en juin 1940 : onze à Jeugny, un retrouvé dans les bois alentour, et un à Javernant. « Les communes souhaitaient célébrer les 85 ans de cette tuerie. Nous avons décidé de nous associer parce que nous sommes tous deux sensibles au sort de ces troupes indigènes. Il était important de leur rendre hommage », expliquent Marc Girard, maire de Jeugny, et Christian Cassonet, maire adjoint de Javernant.
Crime de guerre
L'histoire
est connue. En tout cas ses grandes lignes. Outre Gabriel Grosley, de nombreux
historiens et érudits dont Olivier Pottier se sont penchés sur le destin de ces
hommes tués par les Allemands. « Assassinés », tiennent à préciser les deux
élus. Car pour qui connaît les règles de la guerre, les 17 et 18 juin 1940
(dates des exécutions), la France s'est déjà rendue et s'apprête à signer
l'armistice avec l'Allemagne (il le sera le 22 juin). On n'est donc pas en 1944
avec la déroute allemande - qui sera à l'origine des massacres perpétrés par des
bataillons nazis aux abois comme à Buchères - et les règles de la guerre
auraient donc dû être appliquées et ces soldats faits prisonniers, en vertu des
conventions de Genève. Mais ils seront passés par les armes sans autre forme de
procès.
« À l'époque, il n'y avait presque personne dans le village, c'était la
Débâcle. Les gens sont revenus quelques jours après et ont trouvé les corps. Ce
qui est certain, c'est que les Allemands ont tout fait pour effacer leurs
traces, ils ont arraché les plaques et jetés les papiers. Ils ne voulaient
sûrement pas qu'on voie des hommes noirs porter des armes et un uniforme. Ils
auraient dû être faits prisonniers, c'est clairement un crime de guerre ! »
Morts pour la France
Mais si les deux élus se sont penchés sur le destin des
troupes indigènes, ils tiennent d'abord à rendre hommage à ces soldats fusillés,
ceux qu'ils appellent « leurs » tirailleurs. Dans les deux communes,
ils sont inscrits sur le monument aux morts. Et pour les douze victimes de
Jeugny, inhumées au cimetière. Le tirailleur de Javernant a été transféré à Suippes :
« On
n'a pas vraiment eu le choix, l'autorité militaire l'a exigé ».
Mais à
Jeugny, pas question ! « C'est vrai que c'est peut-être une forme
d'appropriation de dire "nos tirailleurs" mais c'est notre manière de
montrer que ce sont nos semblables. Ils sont morts pour la France. Ils sont
enterrés dans un carré militaire, nous n'avons pas voulu que leurs corps soient
relevés. Par délibération, le conseil municipal s'est engagé à toujours
entretenir et fleurir les tombes. »
Et pour marquer encore plus cette volonté farouche de rendre hommage à ces soldats, la municipalité de Jeugny inaugurera une « Place des Tirailleurs Sénégalais ». « Il fallait rendre hommage à ces soldats. Aujourd'hui encore, on n'en a identifié que trois : un Algérien et deux originaires de la Haute-Volta », explique Marc Girard. Outre ces interrogations, subsiste une question : « Que faisaient-ils là ? Comment sont-ils arrives dans nos villages ? » Mais à défaut de trouver les réponses, les deux municipalités souhaitaient surtout rendre hommage à ses treize soldats africains venus combattre - et mourir - bien loin de chez eux.
Douze tirailleurs exécutés à Jeugny sont inhumés au cimetière de la commune. Le conseil municipal s'est engagé à toujours entretenir leur tombe et à honorer leur mémoire. |
+ Le programme de la cérémonie
10 h : hommage au tirailleur sénégalais, au monument aux morts
de Javernant
10 h 30 : deplacement vers le cimetière de Jeugny
10 h 45 : hommage rendu sur la place des Tirailleurs-Sénégalais
a Jeugny puis au cimetière militaire aux douze tirailleurs sénégalais massacrés
en juin 1940
À l'issue de la commémoration, une exposition intitulée « Les
Tirailleurs d'Afrique » sera présentée à la salle des fetes de Jeugny,
suivi du verre de l'amitié.
Kanou Za, mort pour la France à plus de 4 000 km de chez lui
À Javernant, le seul mort de la Seconde Guerre mondiale
n'était pas un habitant du village. Kanou Za, 25 ans, natif de Kouana en
Haute-Volta (aujourd'hui Burkina-Faso), a été tué à Javernant, par les
Allemands, le 18 juin 1940. « J'ai trouvé son acte de décès dans les registres d'état civil de la
mairie », déclare Daniel Kaufmann, passionné d'histoire locale. Alors
maire adjoint, il effectue des recherches pour trouver la tombe dans le
cimetière. Il apprend alors que le corps a été exhumé et emporté dans la Marne.
Lors d'une rencontre, quelques années plus tard avec Sébastien Touffu,
directeur de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (Onac),
il obtiendra des renseignements précieux.
Kanou Za est enterré dans la nécropole nationale de la ferme
de Suippes (Marne) dans le carré 1939-1945, sépulture n° 1341. Quelles sont
les circonstances de sa mort ? Il y a plusieurs versions plus ou moins
fantaisistes, mais il y en a une qui paraît vraisemblable. Suite à la débâcle
de l'armée française, Kanou Za se serait réfugié à Javernant, à la ferme
Honnet. Il aurait entendu des véhicules militaires et a certainement pensé
qu'il s'agissait de militaires français. Hélas, il s'agissait des envahisseurs.
Il fut aussitôt abattu. Le gros des combats dans l'Aube venait de se dérouler
entre le 15 et le 17 juin, mais les troupes ennemies continuaient d'avancer
pour encercler tout le département. Ils ont circulé à Javernant allant d'Estissac
à Chaource sur la route départementale D34.
Suite aux recherches de Daniel Kaufmann, à l'action
notamment de Christian Cassonnet (maire adjoint) et de Sébastien Touffu
(directeur de l'ONAC), un hommage sera rendu au tirailleur Kanou Za, en
présence de nombreuses personnalités, ce samedi 14 juin à 10 h au monument aux
morts du village. Son nom est désormais gravé sur le monument. Une cérémonie
analogue se déroulera à 10 h 45 à Jeugny où onze tirailleurs ont été
assassinés.
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