Talla Diop, le souvenir d'une injustice
L'identité d'un tirailleur sénégalais fusillé dans
l'Yonne révélée, après près de 80 ans d'anonymat
L’ethnologue africaniste, Alain Epelboin, revient sur ses recherches qui ont révélé l’identité d’un tirailleur sénégalais fusillé en Puisaye. Aujourd'hui encore, les circonstances de cette mort demeurent un mystère.
Par Mila Gosseaume - Publié le 12 mai 2025 à 06h05 • 1 commentaire
Alioune Diouf (à droite) et Seydou Kaba (à gauche) viennent sur la stèle du tirailleur sénégalais, en hommage à leurs propres ancêtres. © Mila Gosseaume |
Au lendemain de l’anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, il existe un monument pour lequel ce jour prend une teinte particulière. Au lieu-dit Le tureau, le long de la route des Grandes Vallées, une stèle trône en bord de voie. À ses pieds, une gerbe a été déposée, des suites de la commémoration du 8 mai 1945.
« Ici, le 24 juillet 1942, un soldat sénégalais
désarmé a été lâchement assassiné par les Allemands », peut-on lire
dessus. Reflet d’une histoire dont les contours sont encore flous.
« Beaucoup de tristesse »
Située en sortie de Saint-Sauveur-en-Puisaye, cette stèle, et surtout son histoire, ont interpellé Alain Epelboin. Médecin de formation puis ethnologue, cet africaniste a posé ses valises en Puisaye en 1974, du côté de Mézilles, alors remplaçant du médecin de Saint-Sauveur. C'est près de 50 ans plus tard qu'il s'est intéressé au cas de ce monument : « Je suis passé devant des années sans y faire attention », reconnaît le chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). « Quand je l'ai découvert, j'ai été pris d'une vive émotion. Je suis très sensible à la non-reconnaissance du sang versé par ce peuple. » Pour cause, l'identité de ce tirailleur sénégalais, fusillé sur place en 1942, est restée un mystère jusqu’à peu.
Après un long travail de recherche pour mettre en lumière
l'identité de ce soldat, Alain Epelboin met finalement un nom dessus :
Talla Diop. À l'aide d'archives nationales et « en sachant précisément où chercher »,
les informations remontent à la surface. Le soldat, âgé de 31 ans, est « Mort
pour la France. » « Tué par balle. » D'après les éléments
recueillis par l'ethnologue, il serait né le 1er janvier 1911 au Sénégal. « Mais
cette date peut être fausse, la même était attribuée à beaucoup d'entre eux »,
déplore-t-il. « La présence de tirailleurs
sénégalais était exceptionnelle à ma connaissance. Leur présence était
rare ici, c'est une certitude. »
C'est aux côtés du scientifique qu’Alioune Diouf, petit-fils
d'un tirailleur sénégalais, a découvert l'existence de cette stèle. « Ce qui
me vient en premier lieu, c'est beaucoup de tristesse. Je pense surtout à sa
famille, lorsque j'imagine la distance qui sépare la Puisaye du Sénégal. »
C'est en écoutant les récits de guerre de son grand-père, racontés à son père, qu’Alioune
Diouf s'est renseigné sur les vécus des tirailleurs sénégalais. « Je
ressens de la douleur et de l'injustice pour ceux qui sont morts dans une
guerre qui n'était pas la leur. On les appelle les tirailleurs pour
tirailleurs, rappelle-t-il. Ils n'étaient pas formés pour combattre. »
Après une première visite l'année passée, Alioune Diouf revient
aujourd'hui aux côtés de Seydou Kaba, également descendant de tirailleur. Il
évoque son propre récit familial : « Mon arrière-grand-père était
venu combattre lors de la Première Guerre mondiale, mais il n'est pas revenu »,
regrette le jeune homme. « On ne sait pas où il est mort, ni enterré. »
Des questions restées sans réponse
Les deux Toucycois espèrent aujourd'hui que lumière soit faite sur l'histoire de Talla Diop. Bien que son nom soit connu, il n'en est rien des circonstances de son décès. Point d'ombre sur lequel Alain Epelboin appelle à lever le rideau. « Il semblerait que ce soit quelqu'un qui ait erré dans la campagne, puis qui ait été exécuté par les Allemands, avec une seule balle », détaille l'africaniste. Difficile de savoir « s'il était seul, où était-il avant sa mort, d'où venait-il, etc. ». Les questions s'empilent, sans pouvoir y répondre. Les trois hommes espèrent que le souvenir de cette fusillade a laissé des échos, quelque part en Puisaye.
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