Lors des RDV de l’Histoire de Blois - Marathon des Images, Didier Lauret a fait une intervention le 12 octobre 2024
au cinéma Le Lobis - Blois :
L’énigmatique Tirailleur de Gien
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Photo : Jacob, G – Pk.637 - Droits réservés : ECPAD – Images de la Défense, fonds allemand DAT 1332 |
La photo que vous voyez n'aurait pas dû exister, car il s’agit d’une photo de propagande allemande faite par un opérateur des Propaganda Kompanien, unités militaires qui avaient la charge de produire des images pour le 3e Reich et sa machine de propagande bien rodée.
Elle est l’œuvre de G. Jacob un des Bildberichter, reporter photographe de la PK. 637, qui l’a faite à Gien en juin 1940. Elle nous montre un jeune tirailleur sénégalais fait prisonnier, réquisitionné pour déblayer les décombres de la ville détruite à près de 80 % sur sa rive nord après les bombardements allemands. Cette photo sort des clous, ceux des critères raciaux nazis qui classifiaient les soldats noirs de l'armée française comme des sauvages dégénérés, assoiffés de violence et que la propagande allemande montrait habituellement sous des aspects moins flatteurs. On ne connaît pas grand-chose sur ce jeune soldat. Ce que l’on voit c’est le nombre 17 qui se trouve sur les pates du col de sa vareuse. Celui-ci indique le numéro de son unité, le 17e BATS, Bataillon Autonome de Tirailleurs Sénégalais, unité de renfort créée mi-avril 1940, affectée à la 7e Division d’Infanterie Coloniale le 12 juin, positionnée le 17 juin au nord de Châteauneuf-sur-Loire et finalement dissoute le 29 juillet 1940. Les archives militaires nous indiquent que sur un effectif de 797 hommes à sa création, ils ne seront plus que 97 à l’appel lors de la dissolution du bataillon, soit 88 % de disparus. Les soldat faits prisonniers étant considérés comme disparus.
Nous ignorons si notre jeune tirailleur a été engagé dans la bataille de Châteauneuf-sur-Loire. Les combats qui ont eu lieu pour bloquer l’accès à la Loire et protéger le retrait de la division ont duré près de 17 heures. 167 soldats français ont perdu la vie dont 98 soldats africains non identifiés.
Assez parlé de chiffres et revenons à la photo. Ce qu’il y a d’énigmatique, c’est qu’elle est plus utilisée de nos jours qu’à l’époque où elle a été prise. On la retrouve régulièrement dans des publications ou des films. Le portrait de ce tirailleur est devenu un symbole de l’engagement de ces soldats africains venus combattre en France. On peut comprendre pourquoi cette photo est utilisée ou plébiscitée car force est de constater qu’elle possède un fort pouvoir d’attraction. Quelque chose se dégage de ce portrait. Ce visage exprime-t-il de la tristesse, de la peur ou d’une forme de sidération ? Difficile de le dire !
Ce qui est certain c’est que cette image est le fruit d’un geste photographique produit par un photographe confirmé possédant la culture photographique de son époque. On ne peut pas échapper à l’esthétisme des films de Leni Riefenstahl tant la pose, l’éclairage, le cadre nous renvoient aux images du Triomphe de la Volonté. Nous savons que les nazis étaient fascinés par les grecs anciens et leurs productions artistiques. Dans cette photo, il y a la possibilité de voir le visage d’une statue grecque avec la particularité qu’il a la peau noire. C’est peut-être ce que G.Jacob a vu au moment de déclencher ou bien alors, l’espace d’un instant, il s’est pris pour Leni Riefenstahl.
Cette photo s’accorde surtout avec une autre référence photographique majeure de l’époque. Il s’agit d’August Sander et son œuvre magistrale Les Hommes du XXe siècle. Ce portrait trouverait toute sa place dans cette œuvre tant il obéit aux codes définis par Sander. Walter Benjamin et Susan Sontag l’auraient certainement validé. Et puis, les tirailleurs sénégalais ne font-ils pas pare intégrante des Hommes du XXe siècle ?
Un autre photographe est convoqué dans cette image. Il s’agit d’Henri Cartier-Bresson et son célèbre instant décisif. De toute évidence, cette photo n’aurait pas été la même dans une autre fraction de seconde.
Il me reste à vous livrer une dernière interrogation qui subsiste. Très peu de livrets militaires des tirailleurs du 17e BATS avaient été mis à jour, probablement dans l’urgence de la constitution de cette unité. Il semble alors assez étrange qu’on puisse confectionner des uniformes spécialement pour ce bataillon. C’est pourquoi l’énigme de la présence de ce numéro 17 reste encore à élucider.
Didier
Lauret
Octobre 2024
Liens internet
Captation de l’évènement disponible sur Youtube, communication accessible 2:57:55 htps://www.youtube.com/live/RKkCn-XvplY?si=wXS2OUfgRadECvPo
Le Marathon des Image sur le site des RDV de l’Histoire de Blois htps://rdv-histoire.com/programme/le-marathon-des-images-1
Le programme du Marathon des Images 2024 htps://www.tirailleurs-loire.fr/download/31725/
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