Près de Lyon. Plaques erronées, portes fermées : "le règne des mensonges" dans ce cimetière ?
Après un "incident diplomatique" en juin dernier, une historienne
dénonce ce qu'elle appelle un "règne des mensonges" dans une
nécropole près de Lyon. Mais que se passe-t-il ?
Fermée aux manifestants le 20 juin 2025, la nécropole militaire de Chasselay, près de Lyon (Rhône) cristallise les tensions autour de la mémoire des tirailleurs africains. (©ROMAIN DOUCELIN / NurPhoto / AFP Illustration) |
Par Théo Zuili Publié le 27 juil. 2025 à 7h42
Le 20 juin dernier, une cérémonie d’hommage près
de Lyon s’est
tenue sur le trottoir, derrière les grilles closes de la nécropole
nationale. Le rassemblement organisé au « Tata » de Chasselay (Rhône)
par des collectifs de sans-papiers et de soutien aux migrants était venu de
Paris pour honorer les
tirailleurs sénégalais massacrés ici par l’armée allemande en 1940,
tout en dénonçant les lois actuelles sur l’immigration.
Le ministère des Armées, contacté par actu Lyon, assume la décision
: « Une manifestation politique ne peut avoir lieu dans
une nécropole nationale. » Armelle Mabon, historienne spécialiste des
tirailleurs aux prises avec l’État, dénonce une « nouvelle décision
arbitraire » qui lui laisse croire à un « règne des mensonges »
dans ce cimetière.
Une manifestation politique
Venus pour se recueillir et « montrer notre
colère contre la loi d’immigration et les politiciens selon qui nous sommes le
problème de la France alors que c’est archi-faux et qu’on sait la vérité
(sic) », ces travailleurs en attente de papiers qui
craignent de voir toutes les portes de la naturalisation se fermer prévoyaient
de « manifester depuis la mairie de Chasselay jusqu’au tata pour rendre
visible la solidarité face aux dégradations récentes et l’hommage aux
tirailleurs ».
Des membres de la délégation devant les portes closes de la nécropole, le 20 juin. (©Sébastien Majerowicz) |
De nature éminemment politique, cette manifestation
s’est vue interdire l’accès au Tata « en conformité avec la politique […]
qui ne permet de manifestations politiques dans les nécropoles
nationales ». Une décision polémique, perçue comme « une
humiliation » pour ces Africains dont certains sont descendants de
tirailleurs, qualifiée
« d’incident diplomatique » par un député LFI.
Des versions qui s’opposent
« Les organisateurs n’ont jamais reçu de
refus », rétorque Armelle Mabon. « Ils sont arrivés comme prévu, avec
des gerbes, des prises de parole, et ils sont restés dehors. »
La préfète du Rhône affirme que les organisateurs
avaient été informés en amont, mais aucun document ne vient, pour
l’heure, étayer cette affirmation.
Le maire de Chasselay, Jacques Pariost, a accompagné
ce défilé. Plutôt qu’une manifestation, il défendait sur place un « devoir
de mémoire pour ceux qui se sont sacrifiés pour la France ». Lui-même
s’est dit surpris en arrivant devant les grilles fermées, accusant la
préfecture du Rhône et assurant sa solidarité avec les collectifs. Contacté, il
n’a pas répondu à actu Lyon.
La décision de fermer le Tata de Chasselay ce jour-là
émanerait de l’Office national des combattants et des victimes de guerre
(ONaCVG) au titre du règlement général des nécropoles nationales, interdisant
toute « manifestations de nature à nuire au recueillement ».
Ce cimetière situé à Chasselay (Rhône) près de Lyon est baptisé « Tata sénégalais », signifiant « enceinte fortifiée » en wolof. (©Taguelmoust / Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0) |
« L’ONaCVG n’est évidemment pas en charge du
suivi de votre manifestation et n’a aucun avis à donner sur le sujet.
Je suis toutefois heureux de constater que nous partageons le même souci quant
à la nécessité de respecter ce lieu de mémoire et de préserver sa
solennité », écrivait pourtant l’ONaCVG quelques jours plus tôt, selon des
échanges que nous avons pu consulter.
Armelle Mabon soupçonne derrière l’absence de preuve
d’une notification préalable une volonté de corriger une erreur en improvisant
à postériori pour garder la face. Pour elle, ces portes fermées s’inscrivent
dans un contexte plus large « d’instrumentalisation de la mémoire »
dans la nécropole.
Des plaques erronées
Au cœur de cette accusation, deux plaques gravées de
25 noms. En 2022, le ministère des Armées avait inauguré au sein du Tata
ces plaques commémoratives en hommage à 25 tirailleurs jusqu’alors
« portés disparus ou non identifiés ».
Le communiqué officiel affirmait que ces soldats
avaient été « identifiés grâce à des recherches génétiques ». Mais
une enquête menée par l’historienne Armelle Mabon a révélé que ces recherches
ADN n’ont jamais eu lieu, comme l’a reconnu le ministère des Armées dans une
note judiciaire.
Seuls 7 des 25 soldats ont
pu être effectivement liés, via des archives, à une inhumation certaine à
Chasselay, et cinq autres y sont seulement « possibles » selon
Armelle Mabon, qui dénonce des plaques « constituées
sans fondement scientifique ».
Des noms gravés, mais sans preuve ?
Elle a obtenu gain de cause auprès du Tribunal
administratif, qui a ordonné la transmission des documents attestant de ces
inhumations. Si les documents sont cohérents avec les plaques, cela validerait
que l’ajout de leurs noms repose sur une base fiable.
Mais le ministère n’a jamais fourni les pièces
demandées, et l’affaire est aujourd’hui relancée en justice pour
en obtenir l’exécution.
Une contradiction qui agace
Pour l’historienne, graver des noms sans preuve dans
une nécropole sous prétexte d’un hommage national reviendrait à
instrumentaliser la mémoire à des fins politiques. Une démarche d’autant plus
problématique, dit-elle, que l’État invoque en parallèle le devoir de
neutralité mémorielle pour interdire toute manifestation « à caractère
politique » dans ce lieu.
« Tout ça est illégal. Et quelque chose me dit
que rien de tout ça n’aurait été permis si ces soldats avaient été des français
blancs », accuse Armelle Mabon. Pour l’historienne, c’est une manœuvre de
communication. « On a instrumentalisé ces morts pour produire un
récit qui flatte l’État, quitte à tordre la vérité. »
Elle parle de « profanation mémorielle » et
dénonce un « règne des mensonges ». Loin de lâcher le morceau,
l’historienne se dit optimiste : « Je crois encore que ces plaques
puissent être corrigées. »
Impossible de dire, à ce stade, si cette contradiction
est le simple fruit d’une maladresse institutionnelle ou d’une volonté
délibérée.
Près
de Lyon. Plaques erronées, portes fermées : "le règne des mensonges"
dans ce cimetière ?
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