La sortie du livre de MR Couriol est l’occasion pour l’AHTIS de revenir sur les travaux menés autour du massacre de Clamecy ces dernières années.
Le
livre de Daniel Couriol n’est pas très épais, avec 92 pages seulement,
cependant cela n’enlève rien à son
intérêt.
L’auteur
qui a vécu et travaillé[1] en Guinée de 2011 à 2016,
est un ami de la Guinée et de ses habitants. Revenu en France en 2017, il est
désormais avec son épouse Rabab, un nouvel habitant de la ville de Clamecy dans
la Nièvre. Son ouvrage présente l’enquête qu’il a menée pour retrouver des
traces de six tirailleurs « sénégalais » d’origine guinéenne,
assassinés à Clamecy par des troupes allemandes en même temps que 37[2] de leurs camarades, le 18
juin 1940.
Le
projet est ambitieux : engager des recherches en Guinée, pour tenter de
retrouver les familles de ces six soldats : Cécé Togba, Faya Tohno,
Kekouta, Labila Togha, Noumou Moussa, Traoré Sayon. L’ouvrage de Daniel Couriol
présente cette enquête. Le travail a
commencé en 2018 ; Daniel Couriol a
œuvré avec des amis et relations de Guinée, principalement avec deux
journalistes proches de lui, Oscar Ben Barry et Ansoumane Condé. Un des moments
importants de l’enquête fut l’émission
en direct à la télévision de Guinée, la RTG, le 4 janvier 2019. Une phrase
prononcée lors de cette émission par un historien guinéen, le Dr Aly Gilbert
Ifonso[3], « mieux vaut tard
que jamais », a ensuite inspiré à Daniel Couriol le titre de son livre.
Lors de l’émission, une présentation de l’affaire fut montrée, préalablement
enregistrée par Daniel Couriol en France, et plusieurs intervenants prirent la
parole sur l’histoire des tirailleurs sénégalais, y compris sur le massacre de
Thiaroye en 1944. Un appel à témoins fut lancé pour retrouver les familles des
six tirailleurs guinéens assassinés à Clamecy le 18 juin 1944. L’audience et
les réactions à l’émission furent importantes. L’enquête fut aussi menée par
voie de presse.
Et
le premier succès est notable : l’émission de télévision a permis de
retrouver un cousin du tirailleur Sayon Traoré. Mr Couriol et ses amis veulent
poursuivre les recherches pour entrer en contact avec les familles des cinq
autres soldats.
Clamecy,
18 juin 1940… Les troupes allemandes qui occupent la ville abattent 43
prisonniers de guerre, tirailleurs africains de l’armée française. Comme à
Clamecy, d’autres massacres de tirailleurs sénégalais faits prisonniers furent
perpétrés par des officiers et soldats allemands en France lors des combats de
juin 1940, dans la Somme, dans l’Oise, dans le Rhône…
Ce
sont des habitants de Clamecy qui donnèrent une sépulture aux 43 victimes.
Durant les années d’occupation allemande, de 1940 à 1944, ils décidèrent
d’honorer avec un dépôt de fleurs chaque 11 novembre, les tombes de ces soldats
assassinés. En 1948, la ville de Clamecy fit édifier une stèle en souvenir de
ces soldats, sur le lieu de leur exécution. Jamais le crime de juin 1940 ne
sortit de l’histoire de cette ville.
L’initiative
de Daniel Couriol s’inscrit dans le sillon de ces actions. C’est en découvrant
à Clamecy la stèle et la plaque dédiées aux 43 tirailleurs sénégalais et après
des contacts avec madame Boisorieux, alors maire de la ville[4], qu’il forma le projet de
son enquête.
En
2014, l’AHTIS avait, dans son Bulletin n°9, rendu compte de l’important travail
de mémoire et d’histoire effectué par les habitants de la ville de Clamecy sur
le massacre de ces tirailleurs sénégalais en juin 1940. Ayant eu connaissance
en 2012 de l’existence d’un très beau documentaire réalisé par la cinéaste
Mireille Hanon, habitante elle-même de Clamecy, nous étions allés sur place en
mai 2013. Quand Mireille Hanon avait découvert la stèle honorant les soldats
assassinés, les noms de ces derniers étaient encore inconnus. Elle effectua des
recherches aux archives de la ville et auprès des habitants pour retrouver les
noms des tirailleurs assassinés le 18 juin 1940.Elle parvint à en retrouver 32.
Lors
de notre voyage d’AHTIS à Clamecy en mai 2013, nous pûmes voir ces noms
inscrits sur une plaque près de la stèle commémorative. Dans le film[5] que Mireille Hanon
réalisa, Les 43 Tirailleurs, elle
présente aussi l’enquête qu’elle a menée en compagnie du photographe Philippe
Guionie[6] au Sénégal : ils se
rendirent à Dakar, ainsi qu’à Thiaroye, où ils rencontrèrent au lycée des
jeunes élèves et leur professeur Samba Diop[7], puis dans le village de
Sakh, proche de Thiès. Ce village était le lieu d’origine du tirailleur Amady
Ndiaye, un des 44 soldats tués dans la région de Clamecy en juin 1940.
En
2012 et 2013, plusieurs initiatives eurent lieu dans la ville de Clamecy et
dans la région autour du souvenir des tirailleurs sénégalais : un colloque
en juin 2012 au Musée de la Résistance de Saint-Brisson sur les massacres
racistes de l’armée allemande ; la pose de la plaque portant les noms de
32 tirailleurs assassinés le 18 juin 1940, à côté de la stèle de Clamecy ;
la projection du film Camp de Thiaroye
de Sembène Ousmane ; la lecture publique à la librairie de Clamecy, Le
Millefeuille, du roman Galadio de
Didier Daeninckx, la tenue de deux expositions sur les tirailleurs sénégalais –
exposition La Force noire sous
l’égide de l’ONAC, et une exposition de portraits d’anciens combattants des
régiments de tirailleurs sénégalais réalisée par le photographe Philippe
Guionie.
Notre
visite à Clamecy en mai 2013 nous permit de découvrir cette belle exposition,
et de rencontrer la cinéaste Mireille Hanon, ainsi que la maire de la ville
madame Claudine Boisorieux et la responsable du Musée Romain Rolland. Moments
importants qui concrétisèrent la réalité de l’inscription dans l’histoire et la
vie de la ville du tragique épisode de l’assassinat des 44 tirailleurs
Avant
d’achever cette évocation des tirailleurs sénégalais assassinés à Clamecy en
juin 1940 et le travail d’enquête, d’histoire et de mémoire qui se poursuit
autour d’eux, il me paraît nécessaire de signaler la préface du livre de Daniel
Couriol : elle fut écrite par un écrivain guinéen, Lamine Kamara, ancien
ministre des Affaires étrangères de son pays, président de l’Association des
écrivains de Guinée. A propos de l’histoire des tirailleurs sénégalais, il
rappelle que « le sujet ne manque pas d’ambiguïtés » et prend acte de
l’existence de controverses. Selon lui, il faut écrire les pages du passé qui
fut celui des soldats africains de l’armée française durant la période
coloniale. Citons ses mots : « « Autant en écrire les pages,
toutes les pages, quelles qu’elles soient, et les faire connaître au grand
public. Quitte à les écrire sous des éclairages différents. Ce qui nous paraît
tout à fait normal. » Sans être certaine du sens, pour cet écrivain, de la
formule « sous des éclairages différents », la démarche mérite intérêt.
Aborder
de nos jours l’histoire des « tirailleurs sénégalais » originaires de
la Guinée, c’est étudier une histoire complexe et tenir compte de mémoires
parfois opposées, souvent douloureuses.
L’histoire
des « tirailleurs sénégalais » n’est pas simple du tout. C’est aussi
cette complexité qui fait l’intérêt du sujet.
La
Guinée, ayant été, en 1958, sous l’égide politique de Sékou Touré, le premier
territoire de l’Afrique coloniale française à devenir indépendant, les
tirailleurs sénégalais originaires de la Guinée se sont retrouvés au cœur des
tensions entre le nouvel Etat et la puissance coloniale, la France.
L’AHTIS
est depuis plusieurs mois en contact avec l’AEACFOG, Association des Enfants
d’Anciens Combattants Français d’origine Guinéenne, qui a le projet de mieux
connaître et faire connaître le passé de ces soldats[8], ceux qui avaient été et
étaient en service dans l’armée française au moment où advint l’indépendance.
Nous ferons prochainement le point sur les initiatives de l’AEACFOG, que nous
suivons attentivement.
Françoise Croset
[1] Daniel Couriol a occupé de 2011 à
2016 les fonctions de directeur du Centre culturel franco-guinéen à Conakry.
[2] On parle donc « des 43 tirailleurs » ; en réalité, il y eut un 44e tirailleur assassiné ; il s’était probablement échappé de Clamecy le 18 juin mais fut capturé sur la commune d’Oisy, sans doute après une dénonciation, et exécuté le 30 juin. Il est enterré à Oisy, et sur sa tombe figure l’inscription « soldat Français ». Cf le site de la mairie d’Oisy qui présente un extrait de l’article de Michaël Boudard, paru dans le Bulletin de la Société Scientifique et Artistique de Clamecy en 2016 – mairiedeooisy.ekblog.com Un précédent article fut publié, en 2000, par P. Pannetier, dans ce même bulletin, et intitulé Le 44ème tirailleur.
[3] Ancien ministre et membre de
l’Association des Ecrivains de Guinée.
[4] Madame Boisorieux fut maire de Clamecy
de 2008 à 2020.
[5] Documentaire diffusé sur la chaîne
FR3 Bourgogne le 18 juin 2011 ; produit en DVD par la société Z’azimut
Films – 245 rue de la Guillotière 69007 Lyon, dunz@orange.fr
[6] Philippe Guionie est photographe.
Il a publié avec Gaston Kelman un très
beau livre de photographies, Anciens
combattants, (Paris, éd. Imaginayres, 2006).
[7] Samba Diop est l’auteur d’un
mémoire de maîtrise d’histoire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, en
1993, « ‘Tyiaroye 44’ massacre de
tirailleurs, ex-prisonniers de guerre ». Non publié
[8] Et de leurs familles.
0 Comments:
Post a Comment
<< Home