Sur les traces d’Addi Bâ et des tirailleurs sénégalais des 12^ème et 14^ème RTS dans les Vosges et la Haute-Marne.
Une visite organisée par M. Etienne Guillermond pour l’AHTiS – 12 août 2019

1.   Addi Bâ

Mais qui fut donc Addi Bâ ? Il fut le responsable du premier maquis de la résistance des Vosges, en 1943.

Addi Bâ : un jeune homme peul, né en 1916 en Guinée, alors colonie de la France, puis arrivé en France au milieu des années 1930. En 1939, au début de la guerre, il s’engagea dans l’armée française et fut enrôlé comme « tirailleur sénégalais ». Pris, comme ses camarades français et coloniaux dans la tourmente de la débâcle française en mai-juin 1940, il se cacha, comme nombre d’entre eux, dans les forêts du département des Vosges et de celui de la Haute-Marne. C’est dans cette région qu’il vécut à partir de l’été 1940, avec l’aide de plusieurs habitants ; c’est là qu’il devint responsable au printemps 1943 du maquis de la Délivrance. Le maquis de la Délivrance a accueilli principalement les jeunes qui refusaient d’aller en Allemagne pour le STO. C’est dans cette région qu’il fut, comme son camarade vosgien Marcel Arbuger, arrêté en juillet 1943, torturé puis exécuté, en décembre de la même année.

Le nom d’Addi Bâ commence à être connu,

·         grâce à Hubert Mathieu, un de ses anciens compagnons du maquis,

·         grâce à Maurice Rives, ancien officier de tirailleurs sénégalais, qui a entrepris dans les années 1980 les premières recherches historiques sur Addi Bâ, et

·         grâce à Etienne Guillermond, auteur d’un livre sur ce résistant oublié : ADDI BÂ Résistant des Vosges, paru en 2013, et créateur d’un site internet, www.addiba.free.fr.

« Né à Nancy en 1970, Etienne Guillermond est journaliste indépendant et conseiller éditorial en région parisienne. Il a conservé des attaches très fortes avec la Lorraine et a consacré plusieurs années de recherche pour reconstituer le parcours d’Addi Bâ. Il a également rassemblé une iconographie exceptionnelle sur le résistant. »

Etienne Guillermond a déjà organisé trois fois cette visite. L’une eut lieu avec l’écrivain Tierno Monémembo, auteur d’un roman Le Terroriste Noir, dont Addi Bâ est le personnage principal et qui a réellement contribué à faire connaître son histoire. Les autres visites furent consacrées à des classes de lycéens, des lycéens de Chaumont, et des lycéens de Neufchâteau.

Etienne Guillermond nous a emmenés à notre tour dans différents villages et lieux sur les traces des tirailleurs sénégalais et d’Addi Bâ. Dans la région, plusieurs monuments viennent rappeler les combats des tirailleurs, mais leur l’histoire a tendance à s’estomper avec le temps dans la mémoire collective.

2.   Village de Tollaincourt (département des Vosges)

Etienne Guillermond a découvert durant sa jeunesse l’histoire d’Addi Bâ par sa mère, née dans le village en 1940, mais sans en obtenir beaucoup de détails. C’est après avoir rencontré le colonel Maurice Rives et Hubert Mathieu qu’il a décidé d’enquêter et de reconstituer son parcours de façon détaillée.

A Tollaincourt nous découvrons les traces de la maison où a vécu Addi Bâ. Elle n’existe plus. Sur un mur de la maison voisine une plaque a été apposée par Hubert Mathieu, compagnon d’armes d’Addi Bâ au maquis de la Délivrance.

 Tollaincourt : E. Guillermond et F. Croset devant la plaque apposée par Hubert Mathieu sur le mur de la maison voisine de celle (écroulée depuis) où vécut Addi Bâ

Tollaincourt ne fut pas seulement le village où vécut et fut arrêté Addi Bâ : un autre soldat africain, le tirailleur Adama Djougal, également rescapé de la 1ère DIC (Division d’Infanterie Coloniale), a également vécu à Tollaincourt de 1942 à 1944. Il était originaire de Koubel Alpha, en Haute-Volta (Burkina Faso actuel).

Notre guide nous montre le verger, proche donc de la maison prise en photo, dans lequel Addi Bâ s’était enfui et où il fut blessé et arrêté le 14 juillet 1943. Une fois arrêté, il fut emmené dans une grange voisine, puis dans un autre village.

Nous nous trouvons dans le haut village : y vivaient entre autres les familles Plyant et Dormois, des familles amies d’Addi Bâ, vraiment très proches de lui. Il mangeait souvent chez ces habitants, il allait écouter en cachette la BBC dans une famille ; une des dames lui faisait son repassage.

Vue depuis Tollaincourt : la forêt où fut implanté le maquis de la Délivrance en 1943.

3.   La débâcle de mai-juin 1940

Addi Bâ était soldat au 12^ème RTS (Régiment de Tirailleurs Sénégalais). Ce RTS appartenait à la 1^ère DIC. Le 10 mai 1940, cette division se trouva au sud de Sedan, lieu où fut lancée l’offensive allemande contre la France. La division est restée là presque tout le mois de mai. Les troupes allemandes partent ensuite vers l’ouest, vers Dunkerque : « L’état-major allemand parachevait ainsi la première phase de la bataille de France, consistant à couper l’armée française en deux et à isoler les forces franco-britanniques dans la partie nord du pays ». Ensuite l’offensive allemande se poursuivit vers Paris. Début juin, les troupes de la Wehrmacht lancent une nouvelle attaque dans l’est. La 1^ère DIC recule de Beaumont-en-Argonne jusqu’à Bar-le-Duc. Les combats sont très violents. Les Allemands exécutent sommairement des prisonniers africains.

Le 16 juin 1940 est le jour du dernier repli de la division, et des derniers combats, dans la région du Val de Meuse, près de la source de la Meuse. « Les unités éclatées de la 1^ère DIC durent couvrir pas moins de 80 kilomètres pour aller se reformer aux confins de la Haute-Marne et des Vosges, entre Neufchâteau et Bourmont, où elles livreraient leur ultime combat. »

Vers le 17 juin, et jusqu’au 20, s’opère dans la région le repli de la division ; les soldats se cachent, certains sont pris.

4.   Village de Gendreville (département des Vosges)

C’est non loin de ce village que l’officier d’Addi Bâ a dit aux tirailleurs sénégalais : « On va se rendre. Ceux qui veulent partir, faites-le ». Addi Bâ et d’autres sont alors partis.

Le 19 juin, deux tirailleurs sénégalais sont arrivés à Gendreville. Ils ont été recueillis et cachés par les villageois. Mais l’armée allemande est arrivée, a trouvé les soldats et les a fusillés. Interdiction fut faite d’ensevelir leurs dépouilles. La nuit, le maire et des villageois les ont néanmoins ensevelis dans le cimetière du village, dans une partie cachée, derrière l’église. Les tombes sont restées après la guerre.

Les noms des tirailleurs sont sur les pierres tombales :

·         Bakary Diallo, classe 1938

·         Abdoulaye Bembo, 

classe 1936, de Guinée ; 

soldats du 12^ème RTS, 5^ème Compagnie.

 Tombes des tirailleurs Bakari Diallo et Abdoulaye Bembo à Gendreville

Nous continuons le trajet en voiture, pour aller vers les lieux où se sont déroulés les combats. C’est à 10 km environ vers le nord, en direction de Neufchâteau.

5.   Village d’Harréville-les-Chanteurs (département de Haute-Marne)

C’est là qu’eut lieu le dernier combat du 12^ème RTS, le 17 juin. Ce jour-là, les soldats du 12^ème RTS arrivent en provenance de Bar-le-Duc, ils sont épuisés. En pleine nuit, ils reçoivent l’ordre de s’en aller. Ils vont à Pompierre. Puis arrive un contre-ordre, et ils retournent à Harréville. Et là, ils livrent le dernier combat contre l’armée allemande. Les soldats du 12^ème RTS sont complètement encerclés.

Stèle en hommage aux tirailleurs sénégalais à Harréville-les-Chanteurs

Addi Bâ s’est trouvé lui aussi dans ce village. C’était avant un dernier repli, le 19, vers l’est. C’est là que l’officier a dit la phrase citée tout à l’heure : « on va se rendre ; ceux qui veulent partir, faites-le. »

Les combats dans ce village, durant la nuit du 18 au 19 juin, ont été menés par les troupes françaises du 12^ème RTS pour empêcher le passage du petit pont par les troupes allemandes. Les soldats du 12^ème RTS ne se sont pas rendus. Les combats se sont finis au corps à corps. Au moins 12 soldats ont été tués. Les troupes allemandes ont continué leur offensive vers le sud.

A la fin des années 1950, un historien local, Camille Lomon, a fait ériger une stèle dans le village en hommage aux soldats du 12^ème RTS tombés à Harréville. Il a raconté les combats dans un livre, publié en 2001 à l’initiative de ses enfants.

Au cours de ses recherches, Etienne Guillermond a interrogé deux ou trois personnes du village, qui étaient enfants en juin 1940. Ils ont raconté que le village était envahi par environ 2 000 civils réfugiés après le bombardement de Neufchâteau par l’aviation allemande. Le maire, Edmond Collignon, avait essayé d’empêcher les combats : pour épargner le village, sa population et les réfugiés, il avait demandé aux soldats d’aller hors du village. En vain. Durant les combats, les civils étaient cachés dans les caves des maisons.

6.   Village de Bourmont (département de Haute-Marne)

Le village est situé sur les hauteurs de la vallée de la Meuse. C’est là qu’a combattu le 18 juin également, le 14^ème RTS, appartenant également à la 1^ère DIC. Les combats furent prolongés et meurtriers. Le 14^ème RTS dut se rendre en fin de journée. C’était la fin de « la longue et douloureuse épopée de la 1^ère DIC. »

Une stèle fut édifiée et inaugurée dans les années 1970. Une brochure a alors été publiée, présentant le récit des combats. E. Guillermond a fait une conférence en 2013 dans le village ; l’assistance était nombreuse. Beaucoup d’anciens du village se rappelaient des tirailleurs sénégalais.

7.   Village de Graffigny (département de Haute-Marne)

Dans ce village s’étaient repliés des tirailleurs du 14^ème RTS et des officiers français. Des anciens du village s’en souviennent.

8.   Village de Nijon (département de Haute-Marne)

Nous nous sommes arrêtés devant un arbre remarquable, « L’arbre du Sénégalais ». Ce nom est écrit sur une pancarte en bois placée sur l’arbre ; l’inscription dit aussi : « A la mémoire du tirailleur Kampti, du 14^ème RTS 19 juin 1940, mort pour la France. » Cette pancarte a été faite et apposée par quelqu’un du village, dans les années 1960. Elle est cependant en mauvais état maintenant. Les maires sont au courant de la détérioration de la pancarte. Il faudrait une initiative pour la rénover.

Ce tirailleur s’est retrouvé dans le village lors de la retraite de l’armée française. Il se serait posté là, avec une mitrailleuse pour attendre les Allemands, et il a tiré. Il s’est fait tuer ainsi. Quelqu’un du village, rencontré par E. Guillermond, pensait s’en souvenir : « il avait un livre de français dans son sac, Mamadou et Bineta ». Le tirailleur a été tué près de l’arbre, et enterré dans un champ proche. Sa dépouille fut transférée plus tard à la nécropole de Suippes. Un ami de notre guide a cherché son nom sur les registres : le soldat s’appelait Noufé Koumbou.

9.   Commune de La Vacheresse-et-La-Rouillie, deux villages réunis (département des Vosges)

C’est à proximité de ces deux villages que se trouve le massif forestier où fut installé en 1943 le maquis de la Délivrance, dont Adi Bâ et Marcel Arbuger furent les responsables. Marcel Arbuger était ferblantier dans le bourg de Lamarche proche de Tollaincourt. Il était membre d’un petit noyau de résistants de la région. Addi Bâ et lui se sont rencontrés à l’automne 1940.

En juillet 1940 Addi Bâ rencontre à Sauville la famille Mallière. Pauline Mallière est institutrice ; elle est originaire du village de Sauville, dans cette région des Vosges. Elle avait vécu 20 ans en Alsace, où elle enseignait le français aux petits Alsaciens à partir de 1919… En 1939 quand la guerre est déclarée à l’Allemagne, Pauline se réfugie chez sa mère à Sauville. Elle est nommée institutrice à Saint-Ouen-les-Parey situé à quelques kilomètres de Sauville. C’est là, dans son logement de fonction, qu’elle hébergeait parfois Addi Bâ, qui avait une cache permanente dans le massif forestier tout proche. Grâce à Jean Mallière, le fils de Pauline, Etienne Guillermond a pu avoir accès aux archives de l’institutrice. A Sauville a été installé en 2016 un panneau en hommage à Pauline Mallière qui fut arrêtée, le même jour qu’Addi Bâ (14 juillet 1943) puis déportée. Lors de leur attaque de juillet 1943, les Allemands sont en effet allés dans les différents villages et y ont arrêté une douzaine de personnes très précises. Ceci probablement, à la suite d’une délation ou d’une succession d’imprudences autour du maquis, quand les réfractaires au STO furent nombreux à s’y réfugier.

Durant l’été et l’hiver 1940, Addi Bâ habitait donc dans une maison forestière du massif voisin. Des habitants, parmi lesquels Pauline Mallière, le ravitaillaient. Il venait à Sauville pour se laver etc… Addi Bâ était alors avec un camarade, le tirailleur Zana.

En novembre-décembre 1940, s’était produit un incident : Addi Bâ dut quitter précipitamment le secteur, en l’occurrence la baraque forestière où il logeait, car un homme l’avait menacé et lui avait dit de partir. Qui était cet homme ? On ne sait pas. Plusieurs hypothèses ont couru…

En décembre 1940, Addi Bâ arrive donc à Tollaincourt. C’est le maire qui le loge.

Dans le village de La Rouillie, une rue a été renommée « rue Addi Bâ ».

La plaque de rue fut posée dans les années 1990, après celle de la ville de Langeais (ville où avait vécu Addi Bâ dans les années 1930), posée en 1991 à l’initiative de Maurice Rives.

A Tollaincourt, la plaque de rue portant le nom d’Addi Bâ fut apposée en 2003 à l’initiative d’Etienne Guillermond.

10.    Le massif forestier du maquis de la Délivrance

Le maquis de la Délivrance fut installé au printemps 1943 au cœur du petit massif forestier situé an nord-est de Tollaincourt. Son nom date de la guerre de 1870 : c’est là que combattirent des francs-tireurs français contre l’armée prussienne. Le maquis de 1943 ne fut pas un maquis de combat, mais un maquis de refuge. Il s’agissait de mettre sur pied un lieu de refuge pour les jeunes de la région qui refusaient la réquisition par le STO. L’initiative vint d’un réseau de résistance local, « Ceux de la Résistance », qui était en contact avec Londres. Marcel Arbuger et Addi Bâ devinrent responsables du maquis.

Quand le nombre de réfractaires au STO réfugiés au maquis de la Délivrance devint trop important, deux maquis annexes furent créés dans des forêts de la région.

Hubert Mathieu était originaire du village de Sandaucourt situé un peu plus au nord dans le département des Vosges. Réfractaire au STO, il rejoint le maquis de la Délivrance en juin 1943. C’est lui qui fit apposer une plaque sur le mur de la maison voisine de celle d’Addi Bâ à Tollaincourt. C’est aussi lui qui entreprit le long et difficile travail, avec Maurice Rives, pour que la médaille de la Résistance soit attribuée à Addi Bâ à titre posthume.

Panneau explicatif à l’entrée de la forêt où fut établi le maquis de la Délivrance

11.    La Médaille de la Résistance

Addi Bâ a reçu à titre posthume la Médaille de la Résistance en 2003. Deux de ses neveux sont venus de Guinée pour la recevoir. Etienne Guillermond les a rencontrés à cette occasion.

La famille d’Addi Bâ est une famille d’éleveurs, et de militaires de la région du Fouta Djalon. Un des frères d’Addi Bâ a été douanier ; un des fils de cet homme est devenu douanier. En Guinée vivent de nombreux neveux et nièces d’Addi Bâ. Etienne Guillermond a pu se rendre en Guinée en 2013 et a rencontré les neveux qui étaient venus en France dix ans auparavant. Dans le village d’où était originaire Addi Bâ, vivait encore un de ses frères. (voir bulletin n° 9 de mars 2014 de l’AHTiS).

12.    En guise de conclusion.

Nous avons vécu ce jour-là des heures fortes et passionnantes. Elles nous ont permis de connaître un peu mieux l’épreuve de ces soldats et de leurs officiers durant les combats de mai-juin 1940, puis la période de la clandestinité et de la résistance dans la région. Nous avons pu en savoir davantage sur ce personnage hors du commun que fut Addi Bâ. Sans la lutte tenace d’Hubert Mathieu et du colonel Maurice Rives pour la reconnaissance du rôle d’Addi Bâ dans la résistance, sans le travail d’enquête et de publication très précieux d’Etienne Guillermond, que nous remercions pour sa disponibilité, le nom d’Addi Bâ serait resté dans l’oubli.

N’hésitez pas : les outils pour en savoir plus, site internet, livre, brochure, sont accessibles. Et même, un périple dans les Vosges…

F. Croset et D. Ndiaye.

Documents annexes :

1.   brochure éditée par le Conseil Général des Vosges et le Service Départemental de l’ONACVG des Vosges, 2013, ISBN : 978-2-86088-089-3. Titre Le maquis de la Délivrance. Mars-juillet 1943).

2.   Livre publié par Etienne Guillermond, Addi Bâ – Résistant des Vosges, Paris, éd. Duboiris, 2013).

3.   Site internet : addiba.free.fr

4.   Camille Lomon, Poussières du passé – Harréville-les-Chanteurs et le Prieuré Sainte-Calixte, Essey-lès-Nancy, imprimerie Christmann, 2001.

Août 2019 : l’AHTiS à Saint-Dié-des Vosges

Peu de villes et de villages ont été en France, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les lieux d’initiatives publiques en souvenir des tirailleurs sénégalais. L’AHTIS s’est rendu dans quelques-uns d’entre eux : ainsi à Airaines, dans la Somme, à Erquinvillers dans l’Oise, à Clamecy dans la Nièvre, à Trévé, dans les Côtes d’Armor.

Nous avons voulu cet été nous rendre à Saint-Dié-des-Vosges, intéressés par la tenue, au début des années 2000, d’une projection dans un quartier de la ville, du film Camp de Thiaroye, de Sembène Ousmane et de la présentation d’une exposition de photos sur l’histoire des tirailleurs sénégalais ; la singularité de cette initiative étant qu’elle émanait d’habitants de la ville originaires du Sénégal. La plupart de ces familles, originaires du Fouta, ont, au moins, un membre de la famille proche qui avait été tirailleur sénégalais.

La référence à cette action figurait dans un texte d’une universitaire de la région, Sylvie Thiéblemont-Dollet, chercheuse et enseignante à l’université de Nancy qui a mené des enquêtes auprès des femmes africaines de la ville de Saint-Dié. Nous avons souhaité en savoir plus.

C’est en effet à la fin des années 1990 et au début des années 2000 que des descendants de tirailleurs sénégalais ont parlé publiquement de leurs père et grands-pères anciens combattants de l’armée française, devenus comme invisibles dans les décennies précédentes.

Notre bref passage à Saint-Dié n’est qu’un début d’enquête, mais il fut intéressant. Nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer une famille sénégalaise, puis M. Mamadou Seck, travailleur social et citoyen actif de la vie municipale.

A Saint-Dié, vivent de nombreuses familles peuls originaires de la région du Fouta Toro (Sénégal et Mauritanie). Les premiers arrivés furent les hommes, qui ont travaillé comme ouvriers dans l’industrie à la fin des années 1960 et dans les années 1970. Ils ont été rejoints par leurs épouses et les aînés de leurs enfants dans les années 1980. D’autres enfants sont nés ensuite à Saint-Dié.

Dans ces familles, la mémoire des tirailleurs sénégalais est bien vivante. Les pères des personnes que nous avons rencontrées ont été soldats de l’armée française. Ils sont maintenant décédés.

L’un a été soldat durant la seconde guerre mondiale ; il a combattu lors de l’offensive allemande de mai-juin 1940. Il parlait souvent à ses enfants des combats très durs près « d’un pont sur la Loire ».

Un autre père a participé à la guerre d’Algérie. Il n’a jamais parlé aux siens de son expérience de tirailleur. Son fils, aujourd’hui ouvrier à la retraite, dit : « Il ne voulait pas qu’on parte en Europe et qu’on ne revienne plus. »

Un jeune homme de la famille, arrivé récemment en France, parle lui aussi de son père, qui fut tirailleur sénégalais et qui disait avoir participé à une opération « contre une révolte en Tunisie. »

Aujourd’hui, une des questions importantes pour les familles descendantes de tirailleurs, comme celle que nous avons rencontrée, est le problème du paiement des pensions de réversion des veuves de tirailleurs. Un autre problème est celui de l’extrême difficulté des enfants des tirailleurs, maintenant, à obtenir des visas pour venir en France, et à être régularisés avec une carte de séjour une fois qu’ils résident ici.

La projection du film Camp de Thiaroye ? Plusieurs dames de la famille s’en souviennent mais lors de notre rencontre, la discussion n’a guère porté sur ce moment de la vie locale.

Aujourd’hui, l’amertume reste réelle. Une dame, qui est la fille d’un tirailleur sénégalais, nous dit : « Il y a eu les guerres. Des pères et des grands-pères ont été tués. Mais ils n’ont pas les droits. On n’a pas les droits des Français. On est seulement des étrangers, c’est tout. »

Nous avons pu durant notre passage à Saint-Dié rencontrer M. Seck : au sein de l’association Anndu Hoore Ma (« Connais toi toi-même », en langue peul) créée à Saint-Dié en 1993, il a participé à l’initiative de projection publique, dans un quartier populaire de la ville, du film Camp de Thiaroye en 2004. Une autre projection eut lieu en 2007 (ou 2017 ?) : le public comprenait des habitants qui n’étaient pas originaires du Sénégal ou de Mauritanie ; ce fut un moment d’échange important.

En 2017, la ville a de nouveau connu un moment lié à l’histoire des tirailleurs sénégalais : lors du tournage du film « Nos Patriotes », l’équipe du film a fait appel à plusieurs jeunes Africains de la ville pour tenir des rôles de figurants. Ce fut pour certains une expérience intéressante semble-t-il. Mais ni rencontres, ni débats sur l’histoire de la résistance locale, sur la place des combattants coloniaux dans la seconde guerre mondiale n’eurent lieu dans le cadre de ce tournage ou après la sortie du film.

Saint-Dié et Tollaincourt sont situés dans le même département, à moins de deux heures de trajet. Nous avons parlé aux personnes que nous avons rencontrées du grand travail d’Etienne Guillermond sur Addi Bâ, de son livre, de son site internet, des rencontres auxquelles il participe. L’idée d’une rencontre entre lui et des habitants de Saint-Dié a été lancée. Souhaitons qu’elle fasse son chemin. L’AHTiS est prête à y contribuer !

F. Croset et D. Ndiaye